Au terme des lois sur la décentralisation, le Conseil communal est tenu de rendre compte de sa gestion aux populations à la base deux fois par an. Dans la commune d’Agbangnizoun, la mairie peine à répondre à cette obligation. Les populations bénéficient tout juste d’une reddition de compte en douze mois, et ceci, grâce à la veille des organisations de la société civile.
L’article 2 de la loi 97-029 du 15 janvier 1999 portant organisations des communes en république du Bénin stipule : « La commune constitue le cadre institutionnel pour l’exercice de la démocratie à la base. Elle est l’expression de la décentralisation et le lieu privilégié de la participation des citoyens à la gestion des affaires publiques locales. »
Ainsi, les communes se doivent d’organiser au moins deux séances de reddition de compte chaque année. Mais, ce n’est toujours pas effectif. C’est le cas de la commune d’Agbangnizoun où généralement une séance unique de reddition de compte se déroule en trois cent soixante-cinq jours.
« La première édition de la reddition de compte par la mairie d’Agbangnizoun a eu lieu en décembre 2012 », se souvient Elias Lémédjo, Coordonnateur de la Cellule de participation citoyenne dans la commune. Il se rappelle également que depuis cette date c’est seulement en 2016 et 2018 que la mairie a organisé les deux séances réglementaires de reddition de compte. « En 2013, il n’y en a même pas eu. »
Cependant, Pascal Dossa, le Secrétaire général de la mairie, persiste et signe : « Nous organisons, chaque année, au moins deux redditions de compte. » Pourtant, l’année en cours (2019) n’a encore connu la moindre séance de reddition de compte.
Selon Pascal Dossa, c’est la Cellule de participation citoyenne, mise en place par Martin Assogba, Président de l’Association de lutte contre le racisme, l’ethnocentrisme et le régionalisme (Alcrer), qui contacte le maire par courrier pour demander l’organisation de la reddition de compte dans des domaines précis. Le maire ensuite convoque une séance de travail entre la Cellule et la mairie pour préparer la rencontre et décider de la date de sa tenue. « Cette année, il y a les domaines de l’eau, l’hygiène, l’assainissement et l’environnement qu’ils ont souhaité et de concert avec eux nous sommes entrain de vouloir programmer cela pour le mois de septembre », informe le Secrétaire général.
Elias Lémédjo confirme que la reddition de compte se fait effectivement dans la commune par « la sensibilisation de la Cellule de participation citoyenne ». Mais il se désole : « Nous avons envoyé un courrier au maire depuis trois mois environs et c’est seulement maintenant que le Secrétaire général nous informe oralement qu’il y aura une séance en septembre. Nous attendons qu’ils nous convoquent pour fixer la date avec précision et arrêter les points définitifs à aborder. »
Groupes thématiques
La Cellule de participation citoyenne ne choisit pas au hasard les thèmes devant faire l’objet de reddition de compte. Selon le Coordonnateur Lémèdjo, tout part des grognes des citoyens de la commune. Ils interviennent généralement lors des émissions interactives sur radio Tonignon 102.2 FM de Zogbodomey pour exprimer leurs désaccords avec divers projets et actes posés par le maire ou le Conseil communal. La Cellule aussi tient des émissions interactives sur la même radio et au cours de ces émissions, les populations interviennent également.
« Nous choisissons les groupes thématiques en tenant compte des récriminations issues des grogneurs. Mais en plus, certains citoyens nous saisissent par courrier ou oralement pour porter des réserves sur la gestion communale », explique Elias Lémédjo.
Les points qui font l’objet d’échanges dans la commune sont assez variés. Mais le plus souvent, clarifie le Coordonnateur, « les populations veulent des explications sur les finances locales, la sécurité alimentaire et nutritionnelle, les services marchands, l’environnement, la santé, l’éducation, l’hygiène et l’assainissement ».
« Grâce à la reddition de compte, avoue Joël Aclovi, Secrétaire général de la Cellule de la participation citoyenne, la mairie arrive à avoir une communication avec les populations. »
Jean-Claude Dossa, juriste chargé de communication à l’organisation non-gouvernementale Alcrer, précise : « Quand une commune ne procède pas à la reddition de compte, elle perd des points lors de l'attribution du Fonds d’appui au développement des communes (Fadec). »
En effet, d’après le ‘’Guide national de reddition de comptes au niveau des collectivités locales au Bénin’’, « la plus grande exigence de tous les organismes internationaux d’aide au développement est la Gestion axée sur les résultats (Gar) qui, tout comme la bonne gouvernance locale, tient farouchement au principe de la reddition de comptes. Les décideurs qui ne travailleront pas dans ce sens se verront donc couper l’aide au développement, bafouant ainsi l’intérêt général qui devrait guider leurs actions ».
Jean-Claude Dossa renchérit : « En plus de l’obligation de compte rendu à la base, les élus communaux doivent par ailleurs s’expliquer à travers des émissions radiodiffusées et procéder à l'affichage des procès-verbaux, rapports ou compte-rendu des activités. »
La loi 97-029 détaille encore mieux en son article 33 : « Il est dressé un procès-verbal et/ou un compte rendu de chaque séance du Conseil communal. Un relevé des décisions signé du maire et du secrétaire de séance est affiché à la mairie à l’endroit destiné à l’information du public dans les huit jours suivant la séance. » Au cours de ces séances publiques, les autorités locales sont appelées à présenter leurs exposés dans des langues locales du milieu.
Mais les séances de reddition de compte ne se passent pas toujours aisément. Ce sont des moments de déchainement des passions dans le rang des populations. Sous anonymat, un maître maçon dans la commune témoigne : « Il y a deux ou trois ans, affirme-t-il, j’ai dénoncé l’acquisition de panneaux publicitaires à des montants inadmissibles par la mairie. Il est inacceptable que ce que nos soudeurs peuvent réaliser à vil prix et faire faire des économies à la commune, le maire le commande ailleurs à des montants insoutenables. C’est depuis ce temps que j’ai décidé de ne plus aller m’asseoir pour écouter ces mensonges. »
Le Secrétaire général de la mairie confirme que des situations du genre surviennent parfois à cause de l’ignorance par une frange de la population du système de passation des marchés publics. « Mais, nous essayons de leur expliquer, autant de fois que possible, les procédures de passation des marchés publics », insiste Pascal Dossa avant de lâcher : « L’administration publique qui veut réaliser une infrastructure ne peut pas procéder comme un privé qui peut se lever et aller chercher des tâcherons pour que ses travaux soient réalisés ! »
Mobilisation de la population
Le Secrétaire général de la mairie, tout comme le Coordonnateur de la Cellule de participation citoyenne, avoue que les populations participent massivement aux séances de reddition de compte. Aux dires de Pascal Dossa, la mobilisation de la population se fait de concert avec les organisations de la société civile.
Il souligne : « Nous envoyons des correspondances aux chefs d’arrondissements pour leur demander d’informer les populations à travers les chefs de villages. » Il poursuit : « Dans le même temps, nous demandons à la cellule de participation citoyenne de contribuer à la mobilisation de la population. Comme ils ont aussi des représentants au niveau de chaque arrondissement, ils essaient de toucher leurs représentants qui relaient à leur tour les informations pour pouvoir accompagner la mairie dans le cadre de la mobilisation des gens. »
Le Coordonnateur de la Cellule de la participation citoyenne balaie du revers de la main ces affirmations du Secrétaire général de la mairie. Il avertit que l’invitation des populations est laissée au soin exclusif de la société civile pour le simple fait que c’est elle qui suscite les séances de reddition de compte. « Dès que nous arrêtons la date de commun accord avec la mairie, nous faisons diffuser un communiqué d’invitation des populations sur radio Tonignon. Nous sollicitons ensuite des crieurs publics pour gongonner dans les arrondissements et villages. Nous faisons circuler également le message de bouche à oreille. »
« L’Ong Alcrer, révèle le Coordonnateur, dote la Cellule de participation citoyenne d’un budget exceptionnel pour couvrir les charges afférentes aux diverses diffusions de l’information ainsi que pour l’organisation d’un rafraichissement à la fin de chaque séance de reddition de compte. »
Fortuné SOSSA
(Réalisé avec le soutien de l’ambassade des USA)