Acteur culturel pluridisciplinaire, Claude Balogoun vient de se voir renouveler, pour un troisième mandat, sa désignation au Conseil économique et social (CES), grâce à une élection régulière du monde des artistes et assimilés du Bénin. Il explique dans cet entretien la fonction de l’institution dans la République, et mieux, ce que ses pairs pourraient attendre de lui.
Vous venez d’être reconduit au Conseil économique et social pour un troisième mandat en qualité de représentant des acteurs culturels. Qu’est-ce que ça fait de se voir renouveler la confiance de ses pairs ?
Cela montre que ce que je fais au quotidien est bien suivi et apprécié. Je ne suis pas le seul acteur culturel, je ne suis pas le seul artiste dans le milieu. Je ne suis non plus le plus intelligent. Pourtant les acteurs culturels, pour la troisième fois, ont voulu que je les représente. C’est une invite à plus de travail encore, une sorte de sollicitation qui me permettrait d’atteindre un certain nombre d’objectifs plus pointus.
Aller au CES en tant qu’artiste, c’est avoir la capacité d’y être. Se faire élire est une chose. Mais participer aux activités de l’institution de manière professionnelle et conséquente en est une autre. Donc, si les acteurs culturels me demandent d’y retourner pour les représenter, c’est à cœur joie que j’y retourne ; c’est à cœur joie que je vais participer, à nouveau, à la mission régalienne que l’Etat a bien voulu me confier.
Pourquoi le Bénin a jugé utile que les acteurs culturels soient représentés au sein de cette institution républicaine ?
Le Conseil économique et social est une assemblée des forces vives au travail. C’est une assemblée constituée de personnalités qui émanent de divers secteurs d’activités à savoir les associations de développement, les syndicats, les organisations non gouvernementales, les artisans et les artistes. Mais, figurent également au sein du CES, des représentants du patronat, de la Chambre de commerce et d’industrie du Bénin, du Président de la République et de l’Assemblée nationale, etc. Le Conseil économique et social est la seule institution de la République ainsi constituée. C’est la seule institution dont la configuration respecte les entités corporatistes. C’est la seule institution composée de spécialistes secteur par secteur.
En fait, le CES est une assemblée qui contribue à la pacification du pays, au règlement des crises dans le pays. A cet effet, il a pour mission fondamentale de donner des conseils au Chef de l’Etat sur ce qui se passe à la base. Ainsi, chaque expert est sensé connaitre les problèmes de son secteur.
Moi, par exemple, je ne peux pas proprement parler du commerce, je ne peux pas parler du secteur des sports mieux que les experts dans ce domaine. Mais, je peux opiner convenablement sur le secteur de la culture parce que, non seulement je suis un praticien de la culture, mais aussi j’en suis un expert. Je suis un diplômé en culture et j’ai une position transversale par rapport à toutes les disciplines culturelles que nous avons au Bénin.
De ma position, quand il y a un problème dans le secteur de la culture, je suis à même d’interpeler les acteurs majeurs. Je suis en mesure de faire des recommandations au Chef de l’Etat sur l’organisation du secteur. Je suis à même de lui proposer des pistes de solution d’une éventuelle crise dans le secteur avec une liste fiable de personnes ressources pouvant aider à juguler la crise. Il en est ainsi pour les autres experts au niveau de leurs secteurs respectifs.
Donc la présence de l’artiste au Conseil économique et social se justifie par le fait que rien ne peut se faire sans les arts et la culture. Et si l’artiste qui siège dans l’institution est suffisamment au fait des problèmes, il est en mesure quand même de donner de véritables conseils en tirant l’attention des uns et des autres sur l’aspect culturel des réflexions.
Peut-on comprendre par là que l’artiste va au CES pour s’occuper juste du secteur des arts et de la culture ?
L’artiste ne va pas au CES pour parler exclusivement et singulièrement des disciplines artistiques et culturelles. Une fois au CES, tous ceux qui ont été élus, désignés ou nommés, se mettent dans un creuset qui essaie de répondre aux saisines du Gouvernement ou de l’Assemblée nationale, de répondre aux sujets d’auto-saisine que le Conseil se donne.
Par exemple, au cours des mandatures précédentes, nous avions abordé la question de la transhumance. Nous étions descendus dans des camps peulhs, discuter avec des Peulhs pour comprendre pourquoi le problème de la transhumance est aussi criard, occasionnant chaque année des morts.
Si l’acteur culturel qui est parmi les membres du Conseil a une culture sociologique assez poussée, il saura l’approche qu’il faut pour discuter avec les Peulhs et ensuite avec les cultivateurs.
A titre illustratif, en 2018, nous avons fait un sujet sur la transhumance qui a permis d’atténuer la crise afin qu’il n’y ait pas beaucoup de tuerie cette année. Nous avons bien su anticiper.
Autre chose, nous avons travaillé sur l’employabilité des formations c’est-à-dire, la nécessité des besoins des curricula de formation. Nous avons travaillé sur les grossesses en milieu scolaire. Nous avons travaillé sur plein de sujets d’auto-saisine. Le Chef de l’Etat s’en inspire des fois pour poser un certain nombre actes pour la Nation.
Cependant, les lois de la République ne nous autorisent pas à en parler publiquement lorsque le Chef de l’Etat n’a pas publié les recommandations au Journal officiel. C’est pour cela que nous ne publions pas ce que nous faisons et les gens pensent que l’artiste va au CES pour parler du théâtre, pour parler de la musique, pour gagner certains financements. Il n’en est rien.
Que répondrez-vous alors à ceux qui pensent que chaque membre du CES est là pour défendre sa corporation et que par conséquent vous êtes envoyé dans l’institution pour défendre les artistes, pour opiner au nom des arts et de la culture ?
Ceux qui disent cela ne comprennent pas comment fonctionne un Etat. Nous ne sommes pas dans une organisation sous tutelle d’un ministère. Nous sommes dans une dimension macroéconomique. Par exemple, avant que le Chef de l’Etat n’envoie la loi programmatrice des dépenses c’est-à-dire le budget de l’Etat à l’Assemblée nationale, il doit consulter le CES obligatoirement. C’est la loi fondamentale du pays qui lui confère cette obligation.
Pourtant, je ne suis pas économiste. Je ne suis pas un manipulateur des chiffres macros. Malgré cela, je suis obligé de lire et de voir si le projet de budget national tient compte des préoccupations sociales, les besoins du secteur culturel. En dehors de cela, il y a les autres tâches que j’ai citées précédemment.
Dès que le conseiller est installé officiellement, il entre dans une assemblée de trente personnes qui a pour rôle d’opiner sur maints sujets. Si le Chef de l’Etat veut augmenter par exemple le Smig, il est obligé de consulter le CES. S’il doit faire des exonérations sur un produit qui entre ou sort du pays, il doit consulter le CES ; tout simplement parce que ces exonérations peuvent impacter les commerçants représentés à travers la Chambre du commerce et d’industrie du Bénin.
Vous avez dit tantôt que le CES est l’assemblée des forces vives au travail. Cela suppose que chaque entité au sein de l’institution revêt une importance capitale. Pourquoi alors une seule place pour les acteurs culturels au moment où certaines corporations sont représentés à plusieurs ?
C’est le législateur qui en a décidé ainsi. Peut-être qu’à l’époque où se mettait en place la loi organique du CES, la cartographie du nombre d’acteurs culturels n’était pas encore très lisible. Le nombre des artistes n’était peut-être pas encore très important.
N’oubliez pas ! Le Conseil économique et social existait depuis 1958. Il est une émanation de l’Unesco. Pour cet organisme des Nations Unies, il était nécessaire de mettre en place cet instrument qui servira d’assemblée des forces vives au travail auprès des pouvoirs publics. Mais quelques années après l’indépendance du pays, le CES a été suspendu pour être remis constitutionnellement en place à l’avènement du Renouveau démocratique.
Je suis donc d’accord qu’on déplore aujourd’hui l’unique place réservée au secteur des arts et de la culture. Même les artisans qui en ont deux crient déjà que c’est insuffisant. Et ils ont aussi raison parce que les artisans sont de véritables pourvoyeurs d’emplois. Leur secteur d’activités regorge des centaines de profession. Ils ont aussi bien des raisons de se sentir lésés.
Le problème a été d’ailleurs posé au cours de la quatrième mandature, sous la présidence de Monsieur Adagbè. Nous avions, en effet, plaidé pour qu’il soit introduit à l’Assemblée nationale une nouvelle loi organique qui passera le nombre des Conseillers de trente à quarante-cinq. Ce qui permettrait d’obtenir trois places pour le secteur culturel et doubler certainement le nombre de place des artisans. Ceci aurait permis également de multiplier le nombre des représentants des associations de développement puisque la représentativité à leur niveau est interdépartementale, or, jusqu’à ce jour, c’est sur la base de l’ancien découpage territorial que leurs représentants sont désignés. Malheureusement, nous avions milité pour cela sans succès.
A la cinquième mandature, nous avions repris le même travail. Nous avions réintroduit la proposition de texte. A l’arrivée du Président Talon à la tête de l’Etat, nous étions contents que notre proposition passe enfin.
C’était sans savoir que le Chef de l’Etat allait accueillir autrement le projet.
En effet, à notre grande surprise, dans le projet de révision de la Constitution, nous avions constaté plutôt une menace de suppression du CES. Automatiquement, l’objectif de faire le lobbying pour que nous passions à quarante-cinq conseillers a été rangé. Il fallait maintenant œuvrer pour la survie et la sauvegarde de l’institution. Nous avons alors entamé diverses actions de plaidoyer. Nous avons mis à contribution des personnalités au plan national et international, des présidents d’institutions similaires d’autres pays, des acteurs culturels majeurs comme le conseiller Ousmane Alédji, d’honorables députés comme Orden Alladatin et Chantal Ayi, des cadres émérites de la Présidence de la République, etc.
Chacun d’eux a joué sa partition pour que, fort heureusement, cette épée de Damoclès qui pesait sur le CES soit levée et que l’institution puisse être renouvelée. Ainsi, le Gouvernement a pris le décret qui organise le renouvellement du Conseil.
Maintenant que la décision de supprimer l’institution est remise aux calendes grecques, le plaidoyer va redémarrer au cours de cette nouvelle mandature. Nous allons réintroduire de nouvelles propositions. Nous espérons que le Parlement actuel, très au parfum des besoins du peuple, accompagnera le projet en acceptant de doter le CES d’une nouvelle loi organique qui permettrait une représentativité plus équitable et plus intéressante du point de vue du nombre désormais.
Propos recueillis par Fortuné SOSSA