L’Eté est une saison au cours de laquelle des groupes artistiques béninois tournent le plus souvent dans des festivals en Europe. Gaston Eguédji, acteur culturel majeur, apprécie cette opportunité qui concourt à positionner le patrimoine culturel béninois sur le marché mondial tous les ans. Sans langue de bois, il procède à une analyse minutieuse de la situation.
La Marche Républicaine : Chaque année, des groupes artistiques béninois sont invités à des festivals pendant l’Eté en Europe. Quelle appréciation faites-vous de cela ?
Gaston Eguédji : C’est très impressionnant de savoir que chaque Eté des groupes de musique, de ballet et d’autres expressions artistiques sont présents dans un bon nombre de festivals en Europe. Certains tournent pendant des semaines, d’autres pendant des mois. Il y en a même qui restent sur le territoire européen durant tout un semestre. Plusieurs artistes et groupes sont là-bas en ce moment déjà. Ils tournent en France, en Suisse, en Belgique, en Allemagne et ailleurs et les échos qui nous parviennent sur leurs prestations sont très encourageants. C’est souvent le cas d’ailleurs. D’autres groupes se préparent également pour partir. C’est une très forte dynamique qui se met en œuvre pendant l’Eté pour vendre la destination Bénin. C’est le Bénin qui gagne. Pour ce faire, chaque artiste et groupe d’artistes doivent travailler à représenter valablement son pays à ces rencontres de promotion de patrimoines culturels des Nations.
Réussissent-ils vraiment à vendre la « destination Bénin » ?
Chaque fois qu’un groupe béninois se retrouve dans un événement culturel en Europe, il va mettre en lumière le patrimoine culturel national. Surtout les groupes folkloriques, les troupes de ballet, les compagnies de théâtre populaire vont montrer l’authenticité béninoise. Le patrimoine culturel immatériel du Bénin est assez vaste et diversifié. Du Sud au Nord, de l’Est à l’Ouest en passant par le Centre, le Bénin regorge d’innombrables richesses artistiques et culturelles au plan des sons et rythmes, des ondulations du corps, des tenues vestimentaires voire de l’art culinaire. C’est tout cela que les artistes vont faire découvrir aux Européens et autres nationalités du monde présents aux festivals.
Et qu’est-ce que le Bénin y gagne concrètement ?
Le Bénin y gagne beaucoup ! Fondamentalement, ce sont des atouts pour booster le tourisme. J’ai évoqué tantôt la destination Bénin. Par la participation des compagnies artistiques et culturelles aux festivals en Europe, le fait de se produire sur divers podiums, cela suscite chez beaucoup de festivaliers et curieux l’envie d’en découvrir davantage. Alors, ils payent des billets d’avion pour venir au Bénin en qualité de touristes. Or, une visite touristique dans n’importe quel pays du monde, apporte des devises à ce pays. Quand les touristes arrivent, ils descendent dans des hôtels, ils se font restaurer et se déplacent d’un endroit à un autre par des moyens de transport locaux. Ils dépensent donc pour leur hébergement, leur restauration, leurs déplacements à l’intérieur du pays. En plus, ils achètent des objets d’art et divers autres présents avec lesquels ils retournent dans leurs pays respectifs. Tout cela contribue à l’enrichissement de l’économie du pays hôte. C’est ainsi que nos artistes, par la qualité de leurs prestations et la singularité de leur habillement pendant les festivals font gagner des devises au Bénin à court ou à moyen terme.
Mais est-ce qu’ils reçoivent le soutien financier de l’Etat avant de partir pour les festivals ?
En ma connaissance, oui. La plupart des troupes bénéficient de subventions publiques à travers le Fonds des arts et de la culture. Certains sollicitent l’appui du Fonds pour l’achat de leurs billets d’avion lorsqu’ils ne disposent pas de prise en charge pour ce volet. D’autres sollicitent le Fonds pour la confection de nouveaux habits de scène. D’autres encore, pour diverses autres raisons relatives à la tournée, s’adressent également au Fonds pour se faire assister financièrement. Mais il faut souligner qu’il y en a qui s’en vont sans l’accompagnement de l’Etat.
Des acteurs culturels, fondateurs de groupes artistiques et culturels, occupent d’importants postes de responsabilité dans l’administration publique. Est-ce que les compagnies de ceux-ci peuvent prendre part à ces genres de festivals ?
Pourquoi pas ! Le fait d’être appelé à assumer une fonction politico-administrative dans le service publique ne doit pas être perçu comme une signature de l’arrêt de mort de sa propre compagnie ! Cependant, dès qu’un artiste est nommé à la tête d’une structure étatique où élu à une fonction politique, il démissionne de sa compagnie. Il nomme un administrateur provisoire et se met en retrait, le temps d’assurer les charges liées à la fonction publique. Ce qui signifie que la compagnie peut se produire partout à travers le monde mais sans lui, sans sa présence, sans qu’il n’apparaisse dans une prestation parce qu’en ce moment précis, il est supposé ne pas faire partie de la compagnie.
En quoi sa présence dérange ?
Vous savez, en tant qu’agent de l’Etat pour le moment, il ne saurait effectuer un voyage de cette envergure sans un ordre de mission. Or, un ordre de mission suppose des frais de mission. Du coup, même s’il effectue le voyage et le séjour à ses propres frais, il s’en trouvera de mauvaises langues pour médire sur sa personne. Il y aura des suspicions. Les gens vont dire qu’il a pris l’argent de l’Etat pour ses affaires personnelles. Et c’est là où le bât blesse. C’est pourquoi, il est préférable pour l’acteur culturel ou l’artiste en poste dans la fonction publique de s’abstenir d’accompagner sa troupe dans un festival ou toute autre rencontre artistique et culturelle. Mais j’apporte une nuance. Il se peut que le Gouvernement désigne celui-ci pour aller représenter le Bénin à l’un ou plusieurs de ces festivals. Il se peut même que sa propre compagnie fasse partie des groupes sélectionnés pour des prestations. Il ira certes aux frais de l’Etat mais n’aura pas à s’afficher comme directeur d’une compagnie mais le représentant officiel de la République du Bénin.
Et si le responsable en question sollicite un congé administratif pour la période de l’invitation de sa compagnie à l’étranger. Pourrait-il la suivre à partir de cet instant ?
S’il prend un congé administratif, c’est qu’il peut aller partout de son choix en toute légalité. Il peut aller dans un festival avec sa compagnie mais il y va à ses propres frais. Mais, malgré cela, des gens en auront à dire. Des gens auront à le calomnier. Ils auront à le critiquer. Il y aura des suspicions. C’est inévitable. Et souvent, les colporteurs de ces suspicions ne sont pas loin de soi, animés d'un fort désir de nuisance. Ils veulent que l’autre soit dégagé afin qu’ils occupent l’espace. Alors chaque occasion est saisie pour lui mettre des peaux de banane sur la route afin de le conduire à l’échec. C’est très délicat ce dont il est question. Surtout quand l’intéressé est nommé à un poste qui suscite beaucoup de convoitise, trop de gens militent pour le faire tomber et chaque occasion est saisie au vol comme une opportunité pour lui régler le compte.
Que faire alors pour mettre fin aux suspicions ?
On n’y peut rien. Il n’y a pas de solution standard possible contre les suspicions. C’est inévitable. Il faut chaque fois et toujours agir avec prudence, respecter son cahier de charge, analyser chaque situation avec circonspection. Même les opportunités qui s’offrent à soi, il faut toujours chercher à savoir si cela ne comportent pas de piège.
Propos recueillis par Fortuné SOSSA