Nouvelle saison, nouvelle création artistique au Ballet national. Chorégraphes et danseurs s’affairent. Tous les maillons de la chaîne sont mobilisés pour l’accouchement d’un produit très original. C’est une première.
« Ça ne marche pas. On recommence… Ça ne fonctionne pas. Revenez » Richard Adossou est très préoccupé. A chacune de ses instructions, danseuses et danseurs du Ballet national s’exécutent… Ils sont en pleine création artistique dans la grande salle de l’ex-ciné Vog. Ils sont conscients qu’ils ont le devoir de réussir. Ils représentent toute une Nation, la Nation béninoise. Partout où ils sont en spectacle, ils incarnent le drapeau national donc pas d’amateurisme qui vaille.
Richard, d’un geste, fait arrêter la danse à nouveau : « Répétez ! Reprenez !… » Il corrige quelques mouvements, revient sur la tonalité de certains extraits du chant qui sous-tend la chorégraphie. Il fait à nouveau des corrections, insiste sur l’articulation de certains mots.
Le chant est en yoruba, une langue nationale dont Richard n’est pas locuteur mais il tient à la précision et la justesse des mots. Danseuses et danseurs, tous de noir vêtus, mettent de la volonté dans les gestes et redouble d’ardeur.
Richard Adossou, chorégraphe professionnel, est le deuxième formateur au Ballet national. Il assiste le professeur Alladé Koffi Adolphe dans cette mission. Parfois, il envoie quelques piques à certains pour les rappeler à l’ordre. Le professeur, quant à lui, suit attentivement et acquiesce de la tête en signe d’approbation par moment. Soudain, il fait signe à Richard, échange avec lui et fait une proposition.
Le professeur prend maintenant le contrôle de la création lui-même. Il tient à ce que toutes les séquences de la chorégraphie communiquent une forte émotion au public. Il fait aussi des rectifications par endroit afin que l’harmonie recherchée ne souffre d’aucune ombre. Il le fait collégialement avec son assistant.
Le régisseur Razack Alao est également présent et suit religieusement l’occupation de la scène. Il ne souhaite rien rater de la fabrication du produit final afin d’y ajouter sa touche technique en son et lumière.
« Nous sommes dans une saison artistique très spéciale où un travail de fond a été fait pour changer les anciens tableaux du Ballet », annonce l’instructeur Richard Adossou. « On est au couvent, renchérit le professeur Alladé, avec près de cinquante artistes internés où se cuisine quelque chose d’exceptionnel, d’inédit. »
Richard détaille : « Vingt-quatre nouvelles danses traditionnelles ont été découvertes dans le fin fond du Bénin. Des spécialistes de ces danses ont été sélectionnés. Pour la création en cours, huit de ces danses ont été réunies et mises en contexte. »
En fait, les huit rythmes et danses qui constituent la fondation de la création sont : ‘’Tonoukon’’, propre à la communauté Sètô d’Ahouansori Towéta de Cotonou, ‘’Assassa’’, danse des Lokpa de Ouaké, ‘’Ogou’’, exécutée par les chasseurs des Collines, ''Kun-Ya'', connue chez les jeunes femmes dans l’Atacora, sa particularité consiste à se cogner les fesses, ‘’Gblo’’ danse sacrée pratiquée dans la commune d’Agbagnizoun, ‘’Bata’’, dansée dans le Plateau, ‘’Haraka’’ propre à la communauté peulh de l’Alibori et ‘’Ashikpé’’ connue essentiellement dans le Couffo.
« Le Bénin est riche de plus de deux cents rythmes et danses, se réjouit le professeur Alladé Koffi Adolphe. C’est dans cette dense réserve que le Ballet vient de puiser à nouveau. »
Chantal Kassa, Daniel Gansintohoun, Natacha Akogninou et Azizou Mayaba partagent le même avis. Ils sont des danseurs au Ballet et sont distribués dans la création. Chacun d’eux est d’une localité où il pratiquait l’une des nouvelles danses détectées. C’est fort de leur talent qu’ils ont passé avec succès leur concours d’entrée au Ballet national. Ils en sont tous fiers. Fiers d’être distribués dans cette création très spéciale.
« Depuis que son excellence Jean-Michel Abimbola a lancé la saison artistique, rappelle le directeur de l’Ensemble artistique national, nous continuons de travailler dans la recherche de produire un spectacle qui prenne corps sur vingt-quatre nouveaux éléments que nous sommes allés chercher dans les douze départements du Bénin. » Pour Marcel Zounon, « la création de cette année sera tout autre parce que la danse a une expression plurielle certes, mais elle est collée à chaque communauté détentrice de son élément basé, entre autres, sur les chants, danses, musiques, panégyriques, murmures, vêtements de danse, etc. »
Tous sont vaccinés
« Tous les membres du Ballet se sont faits vacciner. La direction générale l’a exigé et cela a été suivi à la lettre. » C’est une déclaration du professeur Alladé Koffi Adolphe. Ce que confirme le directeur Zounon : « Le Ballet national est en activité pendant cette période hyper difficile. Grâce au leadership du ministre Abimbola, nous nous sommes tous vaccinés à temps. » Danseuses, danseurs et percussionnistes en donnent la preuve par la détention de leur passes vaccinales.
En effet, le Ballet national a décidé de se tenir rigoureusement aux décisions du gouvernement relatives à la gestion de la crise sanitaire mondiale au Bénin. Ainsi, très vite, danseuses, danseurs, percussionnistes, chorégraphes et tout les autres se sont faits vacciner, le directeur y compris. « Ce qui permet aux différents artistes de se côtoyer sans trop grande difficulté », rassure Marcel Zounon.
A dire vrai, c’est un travail sérieux de création qui se fait actuellement au Ballet national. Etant une institution publique, il ne saurait d’ailleurs rester au repos. Du coup, tous les matins les artistes, au complet, sont en répétition. Ils travaillent jusqu’à quatorze heures pour reprendre le lendemain. Les instructeurs sont présents aussi, de même que le régisseur et parfois le directeur lui-même. « Ce sont des gens rompus à la tâche qui ont plus de 30 ans d’expérience dans la gestion de la chose culturelle qui essaient de canaliser les ardeurs des jeunes », confie ce dernier.
« Ce qui est important dans la création actuelle, poursuit-il, le ministre a mis les petits plats dans les grands pour que la direction générale n’ait pas de souci pour habiller les danseurs et gérer cette création artistique. »
Du coup, le moral de la troupe est bien dopé. Tous sont assurés qu’aucune pesanteur ne va les empêcher à aller jusqu’au bout de la création. Toutefois, ils s’en tiennent au respect strict des mesures de restriction prise par le gouvernement en Conseil des ministres. Pour ce faire les dates de présentation du spectacle au public ne seront prises qu’à partir du moment où « le gouvernement aura levé les interdictions qui font que les acteurs culturels ne peuvent pas s’exprimer du fait de la protection de la population à juste titre ». Mais il est évident que le produit final sera montré au public du Bénin et d’ailleurs. Et même avant cela, la générale sera présentée aux critiques des arts de la scène, à des chorégraphes, metteurs en scène, régisseurs et autres spécialistes du secteur pour leur appréciation.
Un administrateur pour le spectacle
Hervé Wégbomè est nommé administrateur du spectacle. A ce titre, dévoile le directeur Marcel Zounon, « il se chargera d’écrire toute la pièce quand bien même elle est une création collective basée sur près de 75% du patrimoine culturel immatériel », le reste est une ouverture aux danses urbaines et acrobatiques pour montrer cette richesse du patrimoine immatériel du Bénin.
Hervé Wégbomè est un touche-à-tout de l’art vivant au Bénin. Comédien, conteur, percussionniste, réalisateur et journaliste, il est un professionnel des arts de la scène et doté d’une belle expérience tant ici qu’à l’international. C’est donc à quelqu’un dont le monde du spectacle et la scène n’ont plus aucun secret que l’administration de la nouvelle création du Ballet est confiée. Il informe : « Pour ce spectacle, mon rôle est d’assurer, entre autres, la gestion administrative, le montage du dossier, la recherche du financement, les partenariats, la logistique et la communication. » A cet effet, il travaillera en étroite collaboration avec toute l’équipe artistique et technique.
L’administrateur mettra donc en place toute la documentation sur la création. Ce qui permettra d’aller vers les partenaires, les mécènes, les sponsors… pour tenter de vendre le spectacle et prendre des dates parce que désormais, l’argent que l’Etat investit dans la création artistique, des passerelles doivent être trouvées pour pouvoir reconstituer le capital. « Car, insiste Marcel Zounon, la culture doit constituer un élément fort de création d’emploi et de richesse dans notre pays. » C’est pourquoi, il remercie « le ministre de l’économie et des finances à travers la direction générale du Budget qui accompagne le ministère du tourisme, de la culture et des arts dans la mise en place aujourd’hui d’un Ballet fort et puissant qui puisse faire des créations structurantes et pouvoir vendre ces créations à tous ceux qui peuvent nous accompagner à promouvoir cette œuvre que nous produisons aujourd’hui ». Il adresse, par ailleurs, ses mots de reconnaissance au ministre Jean-Michel Abimbola, de même qu’au chef de l’Etat, Patrice Talon, qui a voulu que « dans chaque secteur on puisse apporter des réformes pour améliorer l’existant et faire en sorte que les différents acteurs puissent, à terme, vivre de leur art ».
Fortuné SOSSA