Le chapeau traditionnel gɔbì est porté par beaucoup de personnes dans plusieurs régions du Bénin. Il fonctionne comme un outil de communication sur la personnalité du porteur. Le Professeur Charles Dossou Ligan en parle dans cette interview.
Gɔbì, chapeau traditionnel apprécié par beaucoup de gens, est un identifiant culturel pour certains et juste un accessoire de mode vestimentaire pour d’autres. Pour vous, qu’est-ce que le gɔbì ?
Le gɔbì représente la partie de notre vêtement qui se fait ordinairement avec de l’étoffe et qui sert à nous couvrir la tête. Le chapeau s’entend donc une couverture ou une fermeture supérieure. C’est le protecteur de la tête, la touche finale d’un style vestimentaire qui parachève l’élégance. Nos grands parents et nos parents portaient le chapeau traditionnel comme un accessoire de mode ou un complément vestimentaire. Autrefois dans certaines localités de Porto-Novo ou environnantes, c’est avec le reste du pagne qui a servi à coudre le costume (la tenue principale) que le tailleur confectionne, à la demande, un chapeau à son client. C'est-à-dire que le produit qui en sort est un uniforme fait de la tenue avec un chapeau, le tout conçu avec le même tissu. Dans la tradition vestimentaire du Bénin, et plus particulièrement à Porto-Novo, le chapeau est un précieux complément dont la forme et la texture vont avec les différentes occasions pour lesquelles il se porte. Hormis cette évidence, le chapeau traditionnel gɔbì est un signe distinctif.
Vous avez écrit que « le chapeau traditionnel gɔbì […] transmet des messages surtout à certaines occasions comme le mariage, la visite de courtoisie aux beaux parents, les réjouissances populaires… ». Quels sont alors les messages que ce chapeau exprime ?
Selon qu’il est orienté vers la gauche ou vers la droite, qu’il soit relevé et positionné tout droit sur la tête ou pointé horizontalement aux yeux, vers la droite ou vers la gauche, le chapeau adresse un message spécifique que seules les personnes averties peuvent décoder. Il paraîtrait peut-être exorbitant d’affirmer que la position du chapeau peut déterminer une femme à céder aux avances de son séducteur circonstanciel. En plus de ce qu’il relève l’élégance, il renseigne sur la qualité, la personnalité ou l’honorabilité voire l’intention du porteur. Loin d’être un simple objet de beauté, de fantaisie ou une affaire de profane, le chapeau est un véritable atout de communication. Il exprime non seulement le rang ou la qualité du porteur, il confère également un certain privilège qu’un quelconque ne saurait avoir à certains endroits. Porter le chapeau gɔbì, c’est également exprimer une certaine aisance. Un crâne tondu et une tête bien couverte ne sauraient avoir le même privilège auprès de futurs beaux-parents par exemple.
Dans ce même ouvrage vous affirmez aussi que « dans la tradition Porto-novienne le chapeau gɔbì est un support de communication ». Dans quels autres groupes socioculturels du Bénin on remarque la tradition du gɔbì ?
Le port du chapeau traditionnel gɔbì est très pratiqué dans les communautés Gun et Yoruba ainsi que par les autres groupes socioculturels des départements de l'Ouémé et du Plateau. Dans cette région, l'ajout du chapeau traditionnel à son habillement est presque une habitude au regard de ses vertus. Au-delà, dans les communautés baatombu, le chapeau traditionnel dénommé gɔbì en milieu gun et yoruba est également très utilisé par les hommes. On note aussi quelques tendances à l'adoption de ce complément vestimentaire dans les autres régions ou communautés béninoises. C'est d'ailleurs pour cette raison que la prochaine édition de mon ouvrage qui est consacré à cette thématique prend en compte les autres usagers du chapeau gɔbì en dehors des régions du Sud Bénin.
Le port de chapeau a-t-il selon vous un caractère sécuritaire ?
Sécurité, oui mais pas au sens très ordinaire du terme. Sinon qu'il convient de constater qu'en portant le chapeau traditionnel, la tête est protégée contre certains aléas climatiques tels que le soleil dont la chaleur peut être nocive pour l'équilibre mental; la tête est protégée contre la rosée qui occasionne des maux de tête chez certaines personnes, etc. Mais du point de vue culturel, le port de ce chapeau traditionnel évite que son porteur soit confondu à n'importe quel individu et traité de la sorte. Avant de s'adresser à quelqu'un, très généralement, on jette un coup d'œil furtif sur sa tête histoire de savoir si on peut lui parler d'une façon ou d'une autre. C'est une forme de sécurité. Il est fréquent de nos jours que dans la circulation, des individus pour un oui ou pour un non vous lancent des jurons sans qu'ils ne soient vraiment offensés. Très souvent, je remarque que beaucoup de ces personnes se retiennent lorsqu'elles constatent votre posture marquée par le chapeau gɔbì. Parfois, ils s'en tiennent au minimum en disant dans leur langue des expressions plus douces, par exemple "papa, vas-y". Même dans les administrations, les agents en tiennent compte souvent pour l'accueil avec toute la courtoisie qui va avec. Ce sont des formes de sécurité à mon avis. Mais, il ne suffira de mettre n'importe quoi sur la tête pour espérer jouir de cette sécurité. C'est la qualité et la posture du porteur qui vont tout déterminer. Par ailleurs, si des gens pensent enfiler le gɔbì pour exercer un trafic d'influence, ils n'en auront pas gain de cause parce que dans la culture tout est harmonie.
Le gɔbì valorise t-il le travail des tisserands ?
Absolument ! Pour le spécialiste de la coupe, c'est un avantage énorme s'il sait mettre en valeur son produit parce qu'il va falloir qu'il entoure son activité d'un minimum de marketing. Mais, il se fait que les confectionneurs locaux sont fortement concurrencés par des vendeurs ambulants Nigérians que nous retrouvons aujourd'hui partout aux abords des grandes rues et des restaurants ou buvettes. Parfois, des gens s'approvisionnent chez ceux-là à des prix défiants toute concurrence. Mais ceux qu’ils ignorent, c’est qu'on ne saurait acquérir un complément vestimentaire destiné à couvrir la tête n’importe où et de n'importe quelles mains. À Porto-Novo, il y a beaucoup de boutiques le long de la rue du grand marché où on peut s'approvisionner calmement et à bon prix dans des conditions de sécurité. Il y a aussi des chapeliers assez doués en la matière à Porto-Novo et à Cotonou. Il suffit de se renseigner pour éviter de mettre n'importe quoi qui gêne la tête au risque de se causer des dommages.
Le port de chapeau ou la position du chapeau sur la tête peut-il entraîner des représailles sur le plan culturel ?
D’aucuns pensent, à tort, que le chapeau traditionnel gɔbì est l’apanage de certaines catégories sociales que sont les vieux, les villageois, les pauvres. D’autres encore estiment que c’est réservé aux sages, notables, dignitaires de cultes traditionnels. Ils ont peut-être raison. Mais, percevoir l’usage de ce chapeau traditionnel sous le prisme de la pérennisation de la culture, de la valorisation de notre patrimoine culturel, et de l’identité du Béninois conviendrait mieux. Car, le chapeau traditionnel l’embellit, le distingue en même temps qu’il transmet des messages. L’Afrique étant le continent de l’oralité et des traditions, le Béninois d’aujourd’hui mieux que celui d’hier a tout intérêt à ne pas consommer de manière brute ou inconsciente la culture étrangère du fait de la globalisation mais à se distinguer positivement parmi le monde qui l’entoure au risque de se perdre et, avec lui, son identité, la gloire et la fierté de ses pères.
Propos recueillis par Dodjivi Emmanuel AMOUSSOU