Conseil national des organisations d’artistes (Cnoa) est la nouvelle faîtière des acteurs culturels au Bénin. Elu président du Conseil d’administration le 25 septembre 2020, Pascal Wanou explique les missions de la structure ainsi que le processus qui a conduit à sa création.
La Marche Républicaine : Monsieur Pascal Wanou, vous venez de prendre part à l’Assemblée générale constitutive du Conseil national des organisations d’artistes où vous avez été élu Président. Quels sentiments vous animent en ce moment ?
Pascal Wanou : C’est un privilège d’avoir à diriger cette faîtière. J’estime que c’est en droite ligne du combat que je mène dans ce secteur et pour ce secteur depuis des décennies. Ma vie militante associative a démarré depuis 1990 avec l’Association nationale des troupes de théâtre et de ballet (Anatheb). Les acteurs du secteur considèrent que le combat, je le mène assez bien et que je devrais pouvoir continuer.
Je mesure le défi et l’ampleur de la tâche qui m’attend désormais. C’est une toute nouvelle mission qui m’est assignée. Me retrouver à la tête de tous les acteurs du monde des arts et de la culture du Bénin, me retrouver comme leur porte-flambeau, c’est une grande mission que j’accepte volontiers d’accomplir.
Le secteur des arts et de la culture est réputé comme une machine à fabriquer des faîtières tous azimuts. Aujourd’hui le Cnoa est initié pour le regroupement de tous. Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné avec les tentatives précédentes ?
Le secteur culturel béninois est très complexe ; un secteur où le ‘’moi’’ supplante le ‘’nous’’, où le ‘’moi’’ domine l’intérêt général. Chacun veut se faire sa petite chapelle quelque part et la diriger. C’est comme cela que notre secteur est caractérisé malheureusement. Nous ne savons pas toujours mettre en synergie nos efforts. Ce qui a créé cet émiettement dans la mise en place des faîtières dans le secteur. Nous en avons connu beaucoup, des centaines d’associations qui ne se valent que lorsque surviennent le moment de faire des désignations et après elles disparaissent.
Ce désordre n’étant pas pour faire avancer le secteur, nous avions décidé de procéder à un regroupement des associations. Ainsi, nous avons connu la Faaben (Fédération des associations d’artistes du Bénin) qui était une grande entité multidimensionnelle et multi-sectorielle. Mais, très tôt, nous avions senti que le poids pesait trop lourd sur cette grosse machine qui peinait à fonctionner. S’en suivra l’avènement de nombreuses fédérations corporatistes. Malgré cela, les tiraillements que nous tentions d’éviter ont pris une dimension nouvelle. La guerre du leadership a pris de l’ampleur. A partir de ce moment, nous avons décidé de créer la Cbaac (Confédération béninoise des acteurs des arts et de la culture) pour prendre en compte toutes les entités fédérales. Mais certains ont préféré rester dans leur complexe en maintenant leurs fédérations en dehors de la Cbaac. D’où la naissance de cinq autres confédérations. C’était beaucoup pour ce seul petit secteur.
A l’issue de certaines réflexions, nous avons alors initié une Plateforme des confédérations d’artistes et d’acteurs culturels du Bénin. C’était le plus grand regroupement dont l’objectif n’est pas de faire disparaitre les entités confédérales et fédérales. Néanmoins la Plateforme a eu l’avantage de rassembler au tour de la même table toutes ces entités pour discuter, aplanir les divergences de point de vue et sortir une position commune. Cela a véritablement marché parce que pendant un bout de temps, le secteur a connu une accalmie.
A un moment donné, même l’autorité ministérielle a fait foi à la Plateforme et le résultat a été magique. La Plateforme était associée à toutes les décisions au niveau du ministère par exemple. Nous avons travaillé de commun accord avec l’autorité ministérielle au temps du ministre Oswald Homéky, dans une collaboration très franche et cordiale. Mais il a suffi simplement qu’Oswald Homéky quitte le département pour que les velléités de dissension se manifestent à nouveau.
Préoccupé par la situation, le Directeur des arts et du livre (Dal), monsieur Koffi Atédé a eu l’idée géniale de la création d’un Conseil national des organisations d’artistes. Tout est parti de ce qu’il fallait enregistrer les organisations d’artistes de rang fédération parce que nous savons tous que si nous devons rentrer dans le rang des associations de base, cela prendrait énormément de temps. Ce sont des centaines d’associations et nous ne savons pas celles qui fonctionnent réellement, pire, celles qui sont fictives. Or, les problèmes du secteur n’attendent pas. Il urge, notamment avec cette situation créée par le Covid 19. Il fallait prendre des décisions urgentes, hardies, surtout que les acteurs eux-mêmes sont inorganisés, en polémique tout le temps entre eux.
Comment le Dal a-t-il donc procédé ensuite pour obtenir le consensus autour de ce rassemblement fédérateur ?
Le Dal a convoqué une rencontre avec tous les responsables du secteur. Nous avons échangé avec lui et nous nous sommes mis d’accord. Tout le monde a apprécié l’idée et nous nous sommes engagés tous dans le processus avec lui. Il a eu à traverser tous les départements du Bénin pour expliquer le processus, son bien-fondé. Tout le monde y a adhéré. Au moins cela présente l’avantage de prendre en compte tout le monde, aussi bien ceux qui se disent indépendants que ceux qui se sont déjà organisés au sein des fédérations. Nous nous sommes engagés dans le processus sur plusieurs étapes. Des projets de textes ont été élaborés. Nous avons identifié sept filières de commun accord à travers lesquelles les organisations devraient se regrouper. Nous avons désigné ensuite trois représentants par filière, soit au total vingt et un délégués qui étaient constitués dans un cadre de discussion et de pré-validation des textes. Du coup, les avant-projets de textes, élaborés grâce à l’appui technique d’un cabinet d’expertise, ont été soumis aux délégués pour étude. Ils ont ainsi pré-validé les textes en y apportant de pertinents amendements. Mais puisque le Cnoa est une faîtière sous la forme associative loi 1901, sa création se devait de respecter la constitution d’association loi 1901. C’est la faîtière des faîtières du secteur et nous nous sommes entendus qu’elle va être une association formelle, reconnue officiellement et enregistrée.
Cependant, certains acteurs estiment que le Cnoa n’est pas conçu sur des bases orthodoxes. Ils contestent également votre élection à la tête du Conseil d’administration à cause d’une élection à la tête de la même structure un mois plus tôt. Qu’en est-il exactement ?
Là où le bât a blessé entre temps et qui fait que certains parle d’un premier Cnoa et d’un second, alors qu’il n’en est rien, c’est simplement qu’après la pré-validation des textes, ils devaient être soumis à l’Assemblée générale constitutive pour validation définitive et donner ainsi naissance au Cnoa. C’est sur cette base que nous sommes arrivés a désigné un certain nombre de responsables d’organes à titre provisoire. Tout ce qui se faisait jusque là était à titre provisoire et devait être validé ou invalidé par l’Assemblée générale constitutive qui est l’organe souverain du Cnoa. Il n’est point question de parler d’un Cnoa bis, encore moins, d’un monstre à deux têtes.
Au titre des organes dirigeants du Cnoa, il est prévu un Conseil d’administration en dehors bien sûr de l’Assemblée générale, un Commissariat au compte, trois Commissions de gouvernance et d’orientation et une Direction exécutive qui en est le bras opérationnel. Le Conseil d’administration est composé de sept membres représentant les sept filières identifiées, soit un membre obligatoirement par filière.
A un moment donné du processus, nous avons voulu procédé à des désignations au niveau desdits organes. Ce qui ne devait pas être fait puisque ce n’était pas encore l’Assemblée générale constitutive. Les textes disent que c’est l’Assemblée générale qui élit les responsables des différents organes. Même si on veut faire ce genre de travail en amont, cela ne devrait pas s’appeler élection. Il faut que tous les acteurs le comprennent. L’élection de l’organe dirigeant d’une organisation régie par la loi 1901 n’est possible et valable qu’en Assemblée générale de ladite organisation.
Tous les actes posés avant l’Assemblée générale ne sont que des consultations. Il s’agissait de consultation entre nous sept membres du Conseil d’administration et non d’une élection véritable. Car, seule l’Assemblée générale a qualité d’élire les membres du Conseil d’administration.
Estimez-vous que les acteurs culturels aient été piégés à une étape du processus ?
En fait, nous avons estimé, à un moment donné, qu’une fois les sept membres du Conseil d’administration identifiés, nous pouvions passer à la vitesse supérieure, en désignant le Bureau du Conseil. C’était une erreur fondamentale. Nous étions tous tombés dans cette erreur. C’était un abus de langage que de parler d’élection à cette étape du processus. Et si nous laissons l’erreur se poursuivre, le secteur s’en trouverait davantage malade. Or, ce n’est pas cela l’objectif du Dal en initiant le Cnoa. Du moment où nous ne sommes pas encore allés en Assemblée générale, il fallait corriger le tir.
L’erreur est malheureusement partie du Dal qui a parlé d’élection entre nous et cela nous a tous emballés. Or, c’était des désignations provisoires à soumettre à l’Assemblée générale. Nous n’avons pas fait très attention. Nous y sommes allés tous et il y a eu mal donne. C’est à la suite de cette erreur que certains se sont rendus compte que ce n’est pas légal ce qui se faisait. Mais le quiproquo même qui a fini par invalider ce qui se faisait était le slogan du Cnoa : « Pour une société civile culturelle forte et unifiée ». Alors, des sept filières, il y en avait au moins quatre qui ont vu assez tôt qu’il est indécent de persévérer dans l’erreur. Pour eux, un minimum d’étique devrait nous guider dans tout ce que nous avons à faire.
Quels sont les axes prioritaires sur lesquels vous comptez mettre l’accent au cours de votre mandat afin d’impacter le secteur ?
Tout est aujourd’hui prioritaire et fort heureusement, les Statut du Cnoa ont énuméré clairement les problèmes du secteur à travers l’identification de son objet et les indications de ses missions. C’est tout comme si tout est à refaire dans ce secteur. Mais la priorité pour moi c’est le rassemblement de toutes les forces vives culturelles de ce pays au sein du creuset Cnoa, notre cadre de concertation, le seul officiel qui servira d’interface désormais entre le secteur et l’Etat, entre le secteur et tous les partenaires techniques et financiers. Tout le combat associatif que j’ai mené dans ce secteur depuis des décennies n’a pour enjeux que cela.
Un travail engagé par la Direction des arts et du livre sur la plateforme du Conseil national des organisations d’artistes a permis de dénombrer 479 associations d’artistes. Il y aura un travail de tamis à faire pour rallier les associations en règle au Cnoa. Ma première mission est de partir à l’assaut de toutes ces forces vives du secteur culturel et artistique. Déjà qu’à l’Assemblée générale constitutive, la filière Art plastique et visuel s’est retirée, estimant que ce qui se fait remettait en cause tous les travaux provisoires.
Pourtant, nous étions à une Assemblée générale constitutive, une assemblée qui donnait naissance au Cnoa. Toute la vie du Cnoa se décidait là. Les règles qui devraient régir le Cnoa se décidaient là. Ma première mission donc est de repartir à la recherche de ces brebis pour les ramener au bercail afin que l’équipe soit au complet. Car, le Cnoa, comme nous l’avons conçu, regroupe sept filières.
La question de l’assurance de l’artiste, l’assurance maladie, c’est aussi votre préoccupation ?
C’est une préoccupation majeure et les textes du Cnoa l’ont prévue également. Il est inscrit dans les Statuts que le Conseil doit œuvrer à la facilitation de l’enrôlement des artistes dans les dispositifs sociaux du gouvernement comme l’Arch, le Ravip, etc. mais en collaboration avec la Maison de l’Artiste. En effet, la Maison de l’Artiste est l’institution qui sera chargée en définitive d’assurer la protection sociale de l’artiste. Mais le travail se fera en collaboration avec le Cnoa qui a le devoir de s’impliquer dans ce dispositif pour que la sécurité sociale des artistes soit assurée parce que nous n’avons pas de sécurité sociale, nous n’avons pas d’assurance maladie. Des artistes meurent ‘’mendiants’’ presque.
Comment sécuriser le Cnoa pour éviter d’en avoir plusieurs comme ce fut le cas avec les fédérations voire les confédérations ?
Je crois qu’aucun acteur culturel aujourd’hui ne peut prendre le risque d’aller à la création d’un Cnoa bis. La consultation a été très large. C’est 55 fédérations officiellement reconnues sur le territoire national qui ont été identifiées et ont pris part à la création du Cnoa en tant que membres fondateurs. Ces 55 fédérations ont été réparties dans les sept filières. Il est vrai que vers la fin de l’Assemblée générale, une filière s’est retirée parce que mécontente. Elle représente sept fédérations. Les autres fédérations sont restées et ont travaillé jusqu’au bout. Les sept fédérations se sont retirées parce qu’elles n’ont pas toutes les informations nécessaires. Nous sommes déjà en discussion avec certaines parmi elles. Ma priorité est d’aller vers les membres, leur donner les informations nécessaires et les ramener au bercail. Leur place n’est pas au dehors. La mission du Cnoa est commune. Ce n’est pas une mission collée à un individu. Je n’ai été élu que pour servir de conducteur, de chef d’orchestre. C’est tout !
Le travail sera fait par les uns et les autres. Les Commissions techniques seront mises en place. Tous les membres du Cnoa seront répartis dans les commissions pour travailler à l’appui du Conseil d’administration. Le Cnoa sert tout simplement de tremplin pour la réalisation de notre mission en tant qu’association de base. Chacun doit pouvoir apporter sa pierre à l’édifice. Par conséquent, ce petit couac qu’on a enregistré est déjà en voie d’être résolu. Ce n’est qu’un malentendu.
Quel message avez-vous pour rassurer les acteurs culturels et mettre en confiance le Gouvernement ?
Je voudrais dire à mes confrères artistes, acteurs culturels que le Cnoa est notre cadre de concertation formel. C’est le grand arbre sous lequel nous irons dorénavant discuter entre nous, prendre les décisions afin d’impacter notre secteur positivement et le plus durablement possible. Le Cnoa est le creuset dans lequel nous irons désormais nous asseoir pour décider de l’avenir de notre secteur et, par conséquent, l’apport de chacun et de tous est indispensable. C’est l’affaire de nous tous.
Je voudrais aussi leur lancer un appel au calme, à la confiance, à la responsabilité et à la solidarité dans l’action. C’est une nouvelle expérience que nous voulons mener. Il ne s’agit pas de nous lancer de pierre mais d’apporter la pierre pour construire l’édifice qu’est notre secteur culturel. J’invite chacun à se départir des fausses informations. Cessons de verser dans la polémique chaque fois. Ce sont des comportements qui arrièrent le secteur et qui font que les autorités ne nous prennent pas au sérieux. Nous avons une chance unique aujourd’hui à travers la mise en place du Cnoa pour faire décoller définitivement notre secteur. Que chacun vienne jouer sa partition.
Je voudrais, par ailleurs, rassurer les autorités en charge du secteur artistique et culturel à travers le Ministère de la culture qu’elles ont désormais un interlocuteur. Le reproche « vous n’êtes pas organisés » est désormais effacé. Je voudrais maintenant appeler les autorités du Ministère à aider le Cnoa à réaliser sa mission, à lui apporter tout l’accompagnement nécessaire pour son autonomisation et son rayonnement. Aujourd’hui le Ministère et tout le Gouvernement ont un interlocuteur crédible : c’est le Cnoa.
Propos recueillis par Fortuné SOSSA