Des acteurs culturels se disent toujours victimes de manœuvres de corruption en vogue au Fonds d’aide à la culture (FAC). En cause, le favoritisme et « l’obligation » de rétro-commissions. Pourtant des réformes ont été engagées pour assainir la gestion de ce Fonds…
« J’ai obtenu du FAC sept cents mille francs pour un projet sur la promotion du patrimoine. Un acteur majeur qui m’a servi d’intermédiaire a retiré 300 000 F CFA dans la subvention de 700 000 F CFA qui m’est destinée et m’a remis le reste pour aller exécuter le projet. J’ai dû solliciter l’un de mes professeurs qui m’a délivré une décharge couvrant l’argent qui m’a été extorqué alors qu’il m’a rédigé à titre gracieux les textes que je devais publier dans le cadre de ce projet ». Ce témoignage est celui d’une jeune actrice culturelle en formation dans une école supérieure des arts.
Ce genre de témoignage qu’on croyait révolus est encore d’actualité et les cas sont légion selon un certain nombre d’acteurs culturels. Ce type de corruption amenuise le budget des projets et rend leur exécution compliquée. Car, s’indigne, un professionnel des arts visuels : « J’ai obtenu récemment une subvention du Fonds pour lequel j’ai dû rétrocéder le tiers. Je me suis entendu avec les membres de mon organisation ainsi qu’avec des communicateurs sur le projet et ils ont accepté émarger pour des montants dont chacun n’a perçu que les 50% afin de couvrir le gap».
Curieusement la loi du silence ou du moins l’autocensure contraint les victimes et les témoins à ne pas oser parler à visage découvert, de peur de subir des représailles. Mais le directeur général du FAC balaie du revers de la main ces allégations de corruption. « Les artistes racontent trop d’histoire. Aucun de mes collaborateurs ne court derrière aucun artiste pour lui prendre des rançons», s’indigne Gilbert Déhou Malé. Tout au plus reconnaît-il que cette ancienne pratique n’a plus court ou est en train d’être bannie depuis que des réformes ont été engagées au FAC, jurant par la même occasion que désormais corrompus et corrupteurs courent tous le risque de se faire sanctionner. Au demeurant, dénonce-t-il une certaine mauvaise foi des acteurs culturels qui dilapident les subventions reçues et qui, au moment de rendre compte, crient au rançonnement.
Sur ce point, Gaston Eguédji, qui a siégé au Conseil d’administration du FAC, ancienne formule et qui y siège à nouveau, donne raison au directeur général Déhou Malé. Pour lui, nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. Mieux, il arrive que des acteurs culturels porteurs de projets mal ficellés se rapprochent de certains membres du Conseil d’administration pour demander qu’un regard bienveillant soit porté sur leurs dossiers. En pareilles circonstances, ils n’hésitent pas à promettre des rétro-commissions au cas où leurs dossiers recevraient un avis favorable, mais ils oublient que la bonne exécution de leur projet est tributaire de la subvention obtenue.
« …Un effet qu’on ne comprend pas… »
Avec les réformes opérées, le directeur général est désormais le seul habilité à désigner les bénéficiaires des subventions et du montant de la subvention à octroyer à chaque projet. Didier Houénoudé est historien de l’art et ancien président du Conseil d’administration du Fonds (de 2013 à 2014) avant de démissionner en dénonçant des dysfonctionnements. Il fustige ce qui ressemble à un « pouvoir excessif ». Mais le directeur actuel du FAC pondère ce pouvoir discrétionnaire en jurant la main sur le cœur : « Pour chaque dossier, je mets en place un comité ad hoc pour donner son appréciation technique parce que je ne suis pas omniscient ».
Ce qui, a priori, peut amener à éviter le clientélisme permettant aux anciens administrateurs du FAC d’apprécier les dossiers en favorisant leurs amis. Mais le Décret de 2018 portant approbation des statuts du FAC n’oblige pas le directeur à choisir des experts. Il est libre de faire appel à toute personne qu’il lui plaira de solliciter. Mais Gilbert Déhou Malé assure que la garantie désormais réside dans le fait que les membres du comité ad hoc ne sont pas connus d’avance et que cela réduit les risques de corruption, contrairement aux experts recrutés au temps du Fonds d’aide à la culture.
Toujours est-il que les notations fantaisistes et le favoritisme avaient cours au FAC depuis longtemps, comme l’atteste Florent Couao-Zotti, écrivain et ancien expert démissionnaire du Fonds avant les réformes : « J’ai constaté que certains projets qui n’ont pas la totalité des points requis pour être éligibles se retrouvent par un effet qu’on ne comprend pas sur la liste des projets éligibles. Certains projets qui ont été déjà réalisés reviennent sous une autre forme portés par d’autres personnes qui ont participé justement aux anciens projets. Lorsque les experts rejettent ces projets, ils sont toujours financés. A un certain moment, je me suis retiré ».
Ce témoignage éloquent est un sérieux avertissement : le recrutement d’experts, connus d’avance ou pas, ne constituera pas à lui seul une panacée à tous les faits de corruption au FAC. De l’idée de réforme devant réduire le pouvoir excessif du Conseil d’administration, on en est arrivé à des pouvoirs très élevés conférés au directeur général du Fonds. Mais tant que les avis techniques de ces experts ne seront pas respectés, l’expertise restera une fausse solution à un vrai problème.
Encadré : La nécessaire sélection
Le Fonds des arts et de la culture (FAC) n’accorde plus aux acteurs culturels l’intégralité de la subvention demandée. Le Fonds accompagne juste des projets culturels. La demande est d’ailleurs forte et il faut forcément procéder à un écrémage. Le FAC a appuyé 414 dossiers en 2019 contre 211 en 2018. Dans le lot, 31 projets de promotion et de valorisation de la culture béninoise à l’international ont été subventionnés l’année dernière contre 13 en 2018. Par exemple, le Fonds a enregistré au moins 3000 dossiers de demande de subvention en 2019. Mais 60% de ces dossiers concernent les projets de lancement d’album et pire, de nombreux dossiers sont déposés par les mêmes acteurs culturels. Or, souligne Gilbert Déhou Malé : « Lorsqu’on accompagne un artiste une ou deux fois, il doit travailler dans un élan d’autonomisation pour qu’on puisse s’occuper d’autres acteurs culturels. On ne peut continuer à accompagner les mêmes personnes toute leur vie. »
Le Fonds des arts et de la culture, est la seule structure pouvant accompagner désormais les artistes, les acteurs culturels, l’industrie culturelle. Le gouvernement veut « fabriquer un type nouveau d’acteurs culturels qui se positionnent comme de véritables acteurs du développement » en vivant du fruit de leurs créations. Du coup, tous les produits que le Fonds d’aide d’alors offrait aux artistes sont demeurés et d’autres produits ont été ajoutés notamment un fonds de bonification et un fonds pour le projet « talent ». Ce projet s’étend au niveau des classes culturelles grâce auxquelles les élèves des lycées et collèges reprendront l’apprentissage des métiers artistiques et culturels cumulativement avec l’enseignement classique qu’ils reçoivent.
Au titre de l’année 2019, le Fonds de bonification a reçu une dotation de 6 milliards de francs CFA (plus de 9 millions d’Euros) et 4 milliards de francs CFA (plus de 6 millions d’Euros) en ce qui concerne le projet « talent », soit un total de 10 milliards de francs CFA (plus de 15 millions d’Euros). En dehors de ces innovations, le Conseil d’administration est passé de quinze à sept membres, avec pour prérogatives, la définition des grandes orientations et le suivi de la mise en œuvre des activités. Seul hic : ces réformes méritent d’être davantage expliquées aux acteurs culturels bénéficiaires du FAC.
Fortuné SOSSA (avec l’appui de OSIWA)