Réuni en Conseil des ministres le 07 Août 2019, le Gouvernement béninois a pris un décret portant transmission à l’Assemblée Nationale, pour autorisation d’adhésion, la Convention d’Unidroit sur les biens culturels volés ou illicitement exportés adoptée à Rome le 24 juin 1995. En sa qualité d’acteur culturel majeur, chargé de mission du chef de l’Etat pour la culture et le tourisme, entre autres, Ousmane Alédji apprécie ici cet acte de l’Exécutif.
La Marche Républicaine : Le Gouvernement a transmis au Parlement la Convention d’Unidroit sur les biens culturels volés ou illicitement exportés pour autorisation d’adhésion. Qu’est-ce que ça vous fait d’apprendre que pendant près d’un quart de siècle, le Bénin est resté indifférent à la ratification de ce document important pour l’élaboration d’une politique efficiente dans la démarche de réclamation des biens culturels ?
Ousmane Alédji : Je me réjouis déjà que le sujet vous préoccupe au point où vous alliez nous voir. Mais je me réjouis davantage que le Gouvernement actuel en ait fait un sujet de préoccupation au point d’agir directement parce que de 1995 à aujourd’hui il y a eu de nombreux Gouvernements mais aucun d’eux ne s’en est préoccupé. Cela dénote du souci de cohérence dans l’acte, dans l’action, dans la vision. Qu’on le veuille ou pas, le mérite revient au Gouvernement et en premier à son chef, le président Talon.
La question du retour des biens culturels n’est pas seulement une envie ou un lieu de débat intellectuel ou encore de chantage. On est dans le concret et cet acte vient une fois encore marquer le pas en avant vers la concrétisation de l’un des projets phares du chef de l’Etat et de son Gouvernement qui est de récupérer notre patrimoine à l’étranger.
Cette décision du Gouvernement se tient au lendemain de la réunion à Cotonou des ministres en charge de la Culture de l’espace communautaire Cedeao pour l’adoption d’un Plan d’action régional 2019-2023 pour la restitution des biens culturels africains à leurs pays d’origine. Ne serait-ce pas le sommet des ministres qui a recommandé à l’Etat béninois de vite lancer le processus de ratification de cette convention ?
C’est une démarche qui, me semble-t-il, a été inspirée depuis très longtemps, avant la rencontre récente des ministres de culture de la région ouest-africaine. Mais on ne peut pas dire que cette réunion n’a pas eu d’influence en termes d’accélération de la démarche. Il faut noter, souligner et réclamer une légitime fierté du fait que le Bénin soit en avance sur tous les autres pays de la région. Ce n’est pas de l’arrogance. C’est un fait. C’est du concret. A l’époque même certains craignaient pour l’état des relations bénino-françaises. Mais nous n’en sommes pas là, nous sommes dans une diplomatie intelligente.
Mais le Bénin a-t-il besoin de recourir à la Cedeao pour obliger la France à lui restituer ses biens culturels ?
Non, pas du tout ! Au contraire, ce sont les autres Etats de la Cedeao qui s’éveillent enfin aux enjeux autour de cette problématique et qui viennent à l’école du Bénin. Il faut s’en réclamer une certaine fierté. Mais comme on est dans un environnement régional, il faut composer avec les gens, partager les expériences, les savoirs et les démarches ; si possible, quelques unes peuvent être harmonisées pour qu’on soit un peu plus costaud devant nos partenaires français, allemands, anglais, etc.
Je crois que la région a un autre poids. Je ne sous-estime pas le poids du Bénin mais le Bénin est dans un ensemble et il est souvent souhaité de composer avec les autres.
L’introduction au Parlement de la Convention d’Unidroit sur les biens culturels pour ratification s’impose aujourd’hui au Bénin comme une urgence. Etes-vous sûr que les députés vont répondre à cette urgence et très rapidement ratifier ladite convention ?
A priori les Parlementaires sont au courant des enjeux, ils sont sensibilisés aux enjeux et à l’urgence aussi de notre démarche. Puisqu’on a quelques amis parlementaires avec qui nous parlons tous les jours, je suis persuadé que ce qui est faisable sera fait dans les meilleurs délais.
En tant qu’acteur culturel majeur, quelle suite peut-on imaginer au dossier une fois la convention ratifiée ?
On va dire l’un n’empêche pas l’autre. Il y a la démarche, la démarche de coopération, d’échanges diplomatiques qui continue avec la partie française et, a priori, ratification ou pas ratification, cette démarche ira jusqu’à son terme. Le Bénin s’engage là-dessus. Maintenant il s’agit aussi d’avoir dans notre arsenal juridique ou judiciaire tous les outils dont on peut se prévaloir après. Au cas où le débat voudrait qu’on en arrive là, que le Bénin n’ait pas d’handicap du tout. Donc ce sont des précautions que nous prenons pour être totalement crédible devant les partenaires. Cela ne veut pas dire que tant que cette convention ne sera pas ratifiée par le Parlement les démarches que nous avons entamées vis-à-vis de la France seront arrêtées. L’information est même portée par une opinion dominante aujourd’hui dans le pays à tel point que vous sentez une pression populaire. On a l’impression que l’opinion nationale béninoise est plus pressée de retrouver son patrimoine qu’autre chose.
Le président français a promis restituer vingt-six (26) œuvres à l’Etat béninois depuis près d’un an mais jusque-là aucun retour de quelque bien culturel.
Je sais qu’il y a une polémique en cours mais il faut retenir que l’annonce est faite. Il faut considérer que le Bénin a d’abord fait une demande qui a été reçue. Il y a une réponse positive à la demande puis la France est prête à nous restituer vingt-six objets. Le tout va se concrétiser dans les prochains mois. Je sais que le chef de l’Etat a donné des consignes dans ce sens pour que ce qui doit être fait le soit et très bientôt, les Béninois seront fiers de voir au moins les vingt-six objets revenir au pays.
Nous avons appris que le directeur de l’Agence nationale de promotion des Patrimoines et de développement du Tourisme a déclaré récemment dans des médias français que le Bénin n’est pas prêt pour accueillir les vingt-six objets. Qu’est-ce que ça vous fait d’apprendre une telle déclaration d’une personnalité de cette importance ?
Je ne vais pas répondre sur la déclaration effective ou non de l’intéressé puisque les médias français l’ont relayé. Ce que je fais observer tout simplement, c’est l’empressement que nous constatons chez ces médias, et pas des moindres, à diffuser et rediffuser cette déclaration. Tout porte à croire qu’on est dans une forme de manipulation qui n’a pour objectif, me semble-t-il, que de jeter le discrédit sur des partenaires qui réclament des choses.
Mais les gens doivent comprendre que la position officielle d’un pays vient de la bouche d’un ministre (ça peut être le ministre de la Culture, ça peut être le ministre des Affaires étrangères) ou du chef de l’Etat en personne. Quand la déclaration sort de la bouche de l’une de ces autorités, elle revêt tout le sceau officiel requis. Quiconque d’autre fait une déclaration de cette envergure, fut-il un directeur technique ou un directeur gestionnaire de projet, cela ne doit normalement pas engager tout le pays parce que nous ne savons pas dans quel contexte cette déclaration a eu lieu ni pourquoi et comment. Ce qui est évident est que le Bénin est très pressé et met tous les moyens à disposition en jeu pour récupérer ses biens. Nous sommes impatients de les récupérer.
Ousmane Alédji, le Bénin est-il réellement prêt ?
Oui ! Totalement. Absolument. Ici et maintenant, si on nous les donne nous les prenons. Il faut dire la vérité aux gens. Nous sommes dans un environnement d’intérêts, d’enjeux majeurs où chacun joue des coudes et de la tête plus ou moins. Si vous n’êtes pas fort, on vous ridiculise. Alors, j’invite les gens à être psychologiquement fort et plus intelligents que les ‘’bouffeurs de cacahuètes’’ pourraient l’être. Je voudrais dire par là de ne pas céder à la manipulation.
J’entends certains Béninois et Béninoises s’agiter, profiter de cette manipulation pour appuyer dans la plaie. Mais ils se font mal. Ce n’est pas au Bénin qu’on fait mal parce que le Bénin est éternel. Il nous appartient aujourd’hui ; demain il appartiendra à nos enfants, à nos petits-enfants.
Pour ce faire, l’acte en soi doit être bâtisseur et non destructeur. Et la parole fait plus de dégâts que les armes. Quand on veut parler, il faut faire attention à ce qu’on dit ; surtout ce qu’on dit quand son pays est engagé sur un front, il faut faire corps.
Le Bénin est plus que prêt puisque la demande de la réclamation des biens culturels date de juillet 2016. C’est une demande écrite. Nous n’avons pas attendu 2019 pour réclamer. Quand on réclame à quelqu’un son bien c’est qu’on est prêt à le recevoir. Et ce n’est pas à l’autre de juger des capacités du demandeur à garder son patrimoine.
Propos recueillis par Fortuné SOSSA