Les objets culturels ont-ils de la valeur aux yeux de l’Africain ? Faut-il s’en débarrasser ? Faut-il s’en soucier ? Autant de questionnements qui trouvent des réponses dans le spectacle de théâtre Héritages joué, sur le campus universitaire d’Abomey-Calavi, par des étudiants en art dramatique et en musique de l’Institut national des métiers d’art, d’archéologie et de la culture (Inmaac). Paroles, chants, rites, faits et gestes rythment la scène.
Ecrite en l’espace d’une nuit par docteur Rose Akakpo et mise en scène par Robert Asdé avec l’apport scénographique de Bertin Sossa, Héritages est une pièce de théâtre jouée le 21 juillet 2022. L’auteure l’a créée en octobre 2021 pour le compte du projet Patrimoine en lumière que déroule l’Inmaac à travers diverses activités depuis un moment avec l’appui financier de l’ambassade de France près le Bénin, grâce au Fonds de solidarité pour les projets innovants.
La scène se déploie sous l’arbre à palabre dans le royaume de Tado. Un gros arbre fabriqué avec des matériaux de récupération pour la circonstance et placé à une extrémité de la scène. De l’autre bout, la case d’un autel portatif, Asen, dont l’entrée est recouverte de linge blanc. Puis au milieu, le trône du roi, imposant.
Accablé par des difficultés financières, un descendant du fondateur du royaume s’empare du Asen qu’il brade à sept mille francs Cfa. Au moment du constat de la disparition de l’autel portatif, la radio annonce l’achat de l’objet par un collectionneur européen à un million cinq cent mille euros. C’est la consternation dans le royaume où règne jusque là la paix, la quiétude et la tranquillité.
Difficile de se rendre compte que ce sont exclusivement des apprenants en art dramatique voire en musique qui occupent la scène. Ils se déploient comme des professionnels qui capitalisent déjà de nombreuses années sur la planche. La maîtrise du texte, la diction, l’occupation de l’espace, tout s’harmonise pour donner du rythme au drame, ajouté au lyrisme percutant et à la méticuleuse exploration des chants et danses du patrimoine culturel immatériel béninois en lien avec l’évolution séquentielle du spectacle.
La thématique traitée, a priori, n’est pas nouvelle. Le trafic illicite des trésors royaux africains est un fait et la course au recouvrement des objets volés est une quête permanente des Etats. Cela se révèle même être l’une des préoccupations majeures en ce moment au Bénin qui, en octobre 2021, s’est doté de la loi n° 2021 – 09 du 22 octobre 2021 portant protection du patrimoine culturel.
Un mois après la promulgation de la loi, l’Ecole du patrimoine africaine (Epa) a organisé pour la deux fois un atelier sur les « enjeux actuels de la lutte contre le trafic illicite des biens culturels en Afrique de l’Ouest et du Centre pour les professionnels du patrimoine ».
Ce qui cadre bien avec la Convention pour la lutte contre le trafic des biens culturels, adoptée par l’Unesco en 1970 et plus loin la Charte culturelle africaine, adoptée trente-six années plus tard, qui recommande également aux Etats de « prendre les dispositions nécessaires pour mettre fin au pillage et au trafic illicite des biens culturels africains […] ».
Le trafic illicite des biens culturels fait partie des sujets traités parfois par les médias béninois. On se souvient même que le musée d’Abomey a connu en 2001 le vol du sabre du Danhomè qui servait à déclarer la guerre, le Gougbasa. Donc, au-delà d’une thématique ordinaire, c’est une préoccupation cruciale. Une priorité ici et ailleurs.
Dans le jeu d’acteur, on assiste à un double dénouement. En premier lieu, le pardon à accorder au voleur sur insistance des ancêtres, matérialisés par une voix d’outre-tombe, en méconnaissance des dispositions de la loi sur la protection du patrimoine culturel qui, en République du Bénin, stipule en son article 146 :
« Quiconque pille tout ou partie d'un bien culturel matériel ou immatériel associé classé ou non, inventorié ou non, est puni d’un emprisonnement de douze (12) à cent vingt (120) mois et d'une amende de vingt millions (20.000.000) à cent millions (100.000.000) de francs Cfa ou de l’une de ces deux peines seulement, avec obligation de remise en état, le cas échéant. » Les ancêtres semblent ne rien vouloir comprendre de cette disposition pénale.
En second lieu, le retour mystique de l’objet volé. Un retour mystique qui a suscité beaucoup de questionnements. Docteur Paul Akogni, directeur du patrimoine culturel, a d’ailleurs relevé l’impertinence de cette forme de retour du trésor royal. Or, selon l’histoire de Kétou, par exemple, la porte Akaba Idéna serait revenue d’elle-même après avoir été enlevée en 1887 par le roi Glèlè du Danhomè. Il se raconte également que des statuettes représentant des jumeaux décédés, déplacées pour diverses raisons, reviennent parfois à leurs places initiales sans l’aide de personne.
Le spectacle, dans sa construction, appelle à la protection de « nos savoirs », du savoir endogène. Et Adrien Houannou, professeur émérite de littérature, fait si bien d’observer qu’on ne saurait protéger le savoir. Le savoir est du ressort de la science et la science est faite pour être diffusée. Protégée, cachée aux autres, elle n’est plus de la science. Ce qui est à protéger, c’est « le mystique ».
Ainsi, s’exprime le professeur avec la présence remarquable du nouveau directeur de l’Inmaac, Romuald Tchibozo et de son prédécesseur, Didier Houénoudé.
De mon point de vue, la protection du savoir que met en relief le spectacle Héritages peut être interprétée comme un appel à s’attacher à la législation nationale en matière de protection du patrimoine ainsi que les instruments de l’Unesco mis en place à cet effet.
Fortuné SOSSA