Aux éditions Plumes Soleil, Armand Adjagbo a publié Sokamè précédé de Retour aux fétiches délaissés, deux pièces du théâtre pontin qu’il a réunies en un ouvrage. Deux spectacles des années 1930 qui posent la problématique de la soumission aux dieux. D’anciens chefs d’Etat béninois figurent parmi les comédiens.
Deux drames sociologiques regroupés en un recueil de 82 pages. Deux pièces de théâtre octogénaires que ressuscite Armand Adjagbo, jeune docteur de la littérature africaine d’expression française. Retour aux fétiches délaissés et Sokamè font partie des pièces de théâtres créées et jouées par des élèves de l’ex-Dahomey à l’école normale William Ponty au Sénégal respectivement en 1936 et 1937. Rassemblant les deux textes, Armand Adjagbo a préféré l’intitulé ainsi qu’il suit : Sokamè précédé de Retour aux fétiches délaissés. Sur la première page de couverture, l’image d’une jeune femme africaine dans un style vestimentaire très moderne et libertin.
D’une pièce de théâtre à l’autre, la problématique est la même mais taillée dans une démarche contradictoire ou d’antithèse notoire. Retour aux fétiches délaissés plonge dans une colère des dieux contre le chef du village qui les aurait délaissés. En bonne position, la ruse des féticheurs pour conjurer le mauvais sort. Ils dictent leurs lois au nom des dieux.
Sokamè par contre peint la bravoure d’un jeune homme qui, au nom de l’amour, décide d’affronter les chefs de la tradition et par ricocher les dieux. Une affaire de sécheresse qui nécessite le sacrifice d’une jeune fille pour le retour de la pluie. Le sort est jeté sur la prétendante du jeune Egblémakou. Faut-il laisser Sokamè être livrée en pâture à un serpent considéré comme le dieu des eaux ? Egblémakou s’arme de courage pour briser le lien de la tradition macabre au risque de sa vie. Et cela va lui réussir.
D’une pièce à l’autre, c’est la mise en lumière des réalités endogènes de l’Africain noir, mieux de l’organisation interne du peuple dahoméen colorée avec le recours au Fâ, la science géomantique. Au moment où les pontins béninois choisissent de montrer les forces de leur culture dans Retour aux fétiches délaissés, ils y apportent des réserves dans la seconde création titrée Sokamè.
Dans les années 1930, l’Afrique subsaharienne était fortement sous influence des ‘’missions civilisatrices’’ du colonisateur. Il fallait tout faire pour faire détester aux Africains leurs pratiques ancestrales et les nombreux dieux qu’ils vénèrent afin de s’attacher au Dieu unique. Du coup, les apprenants de la prestigieuse école William Ponty qui constituaient, en quelque sorte déjà l’élite, pouvaient faire l’affaire.
Donc la mission d’enseignement était doublée de la mission du lavage de cerveau et pour mieux le réussir l’art théâtral était choisi, entre autres. Alors, qui mieux que les élèves pour faire ressortir les tares de leurs cultures ? Qui mieux que les élèves dahoméens pour démontrer les faces cachées du fétichisme dans leur pays ? Les astuces étaient tout trouvées et les élèves ont su copieusement jouer le jeu.
Au-delà de cette remarque, Sokamè et Retour aux fétiches délaissés sont deux créations artistiques bien construites. Les auteurs ont créé les pièces en plusieurs actes entremêlés de didascalies pour faciliter la mise en spectacle partout ailleurs. Mieux les thématiques abordées demeurent encore d’actualité. Ainsi, les élèves et comédiens pontins que furent Hubert Maga, Emile Zinsou, François Djibodé, Antoine Boya, Adrien Dégbey et d’autres, ne s’étaient pas juste contenter de donner satisfaction aux aspirations du colon. Ils ont su démontrer leurs compétences intellectuelles et artistiques.
Mais, il faut saluer Armand Adjagbo qui s’est évertué, dans ses recherches scientifiques, à retrouver les traces de ces pièces de théâtre aux travers de photocopies usagées d’une vieille revue pour en faire la reconstitution livresque.
Au demeurant, il importe de ramener ces pièces sur la scène afin d’honorer la mémoire de ces précurseurs du théâtre professionnel béninois, qui, pour la plus part, ont été des acteurs clé de la marche vers la souveraineté nationale voire internationale du Bénin, ex-Dahomey.
Fortuné SOSSA