Acteur culturel, membre du Conseil d’administration du Fonds des arts et de la culture, Gaston Eguédji jette un regard d’observateur averti sur la gouvernance du secteur des arts et de la culture en 2020. Il fait des recommandations pour l’année nouvelle.
La Marche Républicaine : En tant qu’acteur culturel, comment avez-vous vécu l’année 2020 avec la pandémie de la Covid 19 ?
Gaston Eguédji : J’ai survécu vaille que vaille parce que les affaires n’ont pas marché comme en temps normal. J’ai perdu plusieurs opportunités à cause de cette pandémie. Je devais aller faire des communications dont les contrats étaient déjà signés mais à cause de la pandémie, tout a été annulé. J’ai pris des rendez-vous de festival avec certains acteurs pour une création qui a été faite à Parakou et nous devions aller tourner un mois en Tunisie ; à cause de la Covid 19, cela aussi a été annulé. Plusieurs autres de mes invitations dont Africa 2020 en France ont été annulées. Si je dois parler du bilan personnel, c’est un désastre au plan culturel.
Cependant, je remercie l’Eternel pour avoir traversé cette période sain et sauf. Tous ceux qui ont survécu doivent rendre grâce à Dieu. Nous devons Lui rendre grâce pour ce qu’Il a fait à chacun de nous et prier pour le repos des âmes de ceux qui nous ont laissés.
Justement, face à cette pandémie, quelle organisation a été mise en place pour soulager les peines des artistes qui, par excellence, sont des créateurs ?
Dans une large mesure, la crise sanitaire a beaucoup pesé sur les acteurs culturels en général et les artistes en particulier. Mais comme l’Etat a institué le Fonds des arts et de la culture, ce Fonds a permis d’amortir un bon nombre de chocs. Je peux témoigner de cela, étant membre du Conseil d’administration du Fonds. Mieux, quand je vois le nombre d’acteurs impactés par divers appuis, je peux affirmer que si le Fonds n’avait pas existé en ce moment-là, les acteurs allaient crier encore plus.
Vous venez d’affirmer que le Fonds des arts et de la culture a permis à plusieurs acteurs culturels de souffler un peu malgré l’inactivité engendrée par l’ampleur de la Covid 19. Cependant, certains acteurs se plaignent de n’avoir bénéficié d’aucun appui de l’Etat alors que les artisans ont reçu des subventions particulières. Que répondez-vous à cela ?
Ceux qui parlent ainsi ont en partie raison. Les artisans sont mieux organisés que les artistes. Il ne faut pas qu’on se leurre. Le chef de l’Etat est un monsieur très fin. Quand il veut injecter de l’argent quelque part, il doit vérifier s’il y a une organisation parfaite à ce niveau.
Si, par exemple, l’Etat alloue 10.000.000.000 F CFA aux artisans, il est sûr que cela bénéficiera d’une répartition judicieuse. Par contre, s’il choisit d’affecter une telle subvention aux acteurs culturels directement, ce n’est pas évident que la partition se passe comme chez les artisans. Pour ce faire, il urge que nous nous organisions en une structure forte comme du côté des artisans.
De façon concrète, que pouvons-nous relever comme appuis visibles aux artistes ?
Certains artistes et acteurs culturels sont animés d’une mauvaise foi. Même quand ils sont financés par le Fonds, pour une raison ou une autre, ils affirment tout le contraire.
Au cours de la pandémie, nous avons remarqué que le ministère a eu à produire des musiciens. Cela ne s’est pas fait gratuitement ! Ces musiciens ont été payés. Même s’ils n’ont pas reçu grand-chose, cela leur a permis de traverser la période avec du beau sourire.
Je voudrais également parler des 2Apac, un projet qui est en cours actuellement. Cela est conçu également pour aider les acteurs. Quand le projet a démarré, en ma qualité de responsable de fédération, j’ai réagi et il m’a été fait comprendre que ce n’est pas une question d’association, encore moins de fédération.
Le projet 2Apac a été conçu pour soutenir des acteurs individuels qui n’ont rien eu jusque-là. Ce n’est pas une mauvaise chose, seulement, je le répète, il nous faut une organisation forte pour mieux centraliser ces différentes actions parce que quand les acteurs vont finir par rentrer dans leurs subventions, le ministère va faire le point : « J’ai fait ci. J’ai fait ça. » Cela n’aura aucun impact parce qu’un acteur culturel qui va percevoir 225.000 F CFA, par exemple, il va passer la période des fêtes de fin d’année avec et deux semaines après, il va commencer à avoir encore de problème. L’artiste a fini de fêter mais ses problèmes reprennent. Donc nous devons pérenniser les actions pour que les acteurs puissent se dire : « Je peux vivre toute l’année sans quémander ».
Nous avons vu une tentative d’organisation fédératrice de tous les acteurs culturels du Bénin. Je veux nommer le Conseil national des organisations d’artistes (Cnoa). Mais cela s’est fait sur fond de division jusqu’à ce que l’affaire se retrouve devant les tribunaux. Qu’est-ce qui n’a pas bien fonctionné entre temps ?
C’est toujours la mauvaise organisation du secteur. Quand on n’a pas la notion du vivre-ensemble, on ne peut pas bien s’organiser. Nous aimons trop l’individualisme. Quand il y a un poste à pourvoir, on veut tous se l’occuper avec l’intention que c’est un moyen en or pour prendre sa part. J’en parle parce que je suis dans la corporation depuis près de 40 ans. Nous sommes en permanence dans une guerre de leadership. C’est cela qui a plombé la belle initiative dénommée Cnoa.
Aujourd’hui, nous nous retrouvons devant les tribunaux pour une simple organisation de la société civile culturelle. Je trouve que c’est déjà trop parti et j’ai bien peur de la fin parce que si nous ne sommes pas ensemble, nous ne pouvons pas avancer convenablement. Il n’est pas prouvé que les artisans s’entendent à 100%, mais ils s’entendent sur un minimum. C’est ce que nous n’arrivons pas à faire au niveau du secteur des arts et de la culture.
Plus grave, nous ne respectons pas la loi de la majorité. C’est le mal qui a affecté le Cnoa ? L’Assemblée générale constitutive a décidé d’élire régulièrement les membres du Conseil d’Administration et sur les 54 fédérations d’associations d’artistes représentées, une seule s’est sentie frustrée et a voulu plomber l’initiative. Nous allons continuer à œuvrer pour le dialogue afin que cette organisation de la société civile culturelle puisse redorer l’entièreté de son blason.
Quelle est la situation actuelle du Statut de l’artiste ?
Le Statut de l’artiste est l’émanation d’un décret. Nous devons accentuer le plaidoyer afin que cela soit repris à travers une loi votée au Parlement. Dès que nous aurons la loi portant Statut de l’artiste et que la Maison de l’artiste sera mise en place, les associations d’artistes vont disparaître en cascade. La Maison de l’artiste aura à tout réglementer. Elle sera notre Assemblée générale. Elle aura entre autre tâches de parler de la carrière des artistes. Voilà un instrument important à mettre en place assez vite et quand le Cnoa est arrivé, je me suis dit qu’il va contribuer à accélérer le processus. Malheureusement, le Cnoa a reçu un coup et se retrouve devant les tribunaux. A quand la fin de cette guerre de leadership ? Je me pose la question… C’est regrettable.
Face à ce malentendu engendré par la constitution du Cnoa, est-ce que le Ministère en charge de la culture a tenté une médiation ?
L’attitude du Ministère me laisse à réfléchir. Depuis que nous avons fini l’Assemblée générale, le Ministre n’a pas cherché à rencontrer les protagonistes. Par contre, nous avons appris que le Ministre a mis sur pied une commission pour recevoir des gens et écouter certaines personnalités. A la date d’aujourd’hui, les différentes écoutes ont abouti à quoi ? Nous n’en savons rien. De toutes les façons, nous n’avons pas été invités par ladite commission pour une quelconque séance d’écoute. Nous attendons toujours, nous attendons encore parce qu’il y a beaucoup de choses qui sont restées en suspens.
Beaucoup de choses sont restées en suspens dites-vous. Les réformes au Festival international de théâtre du Bénin y compris ?
Absolument ! Le Fitheb qui pouvait impacter beaucoup d’acteurs culturels, se trouve aujourd’hui dans un état comateux. Est-ce qu’on peut dire aujourd’hui avec certitude à quelle date aura lieu le Fitheb à nouveau ? Est-ce même possible de dire si ce festival d’envergure internationale pourra reprendre ? Au Fitheb, nous ne savons toujours pas les réformes qui ont lieu. L’institution est dirigée par un directeur qui ne jouit plus d’aucune légalité. Et le Ministère n’en parle même pas.
A part le Fitheb qui a du plomb dans l’aile, avez-vous connaissance d’autres activés sectorielles qui peinent à décoller ?
Je prends l’exemple des classes culturelles. Si c’était ce que voulait le chef de l’Etat, cela allait démarrer. Depuis que le test de recrutement a été organisé, il n’y a pas eu la publication des résultats jusque-là. Je pressens un nouveau blocage. Je ne sais à quel niveau mais ce n’est pas évident que les classes culturelles démarrent effectivement ce mois de janvier notamment à la reprise des cours comme annoncé. Or, cette réforme pourrait profiter à un grand nombre d’acteurs culturels parce que ceux qui seront recrutés seront rémunérés. Si cela avait été fait avant l’arrivée de la pandémie, ceux-là en gagnant leurs salaires auraient pu souffler un peu. Voilà que cette réforme n’avait pas pris corps puis la pandémie est venue et nous en sommes encore presque au statuquo.
Je prends la direction en charge de la cinématographie. Elle reste encore sans Conseil d’administration. Ceux qui ont été désignés depuis le 29 février 2020 pour y siéger n’ont toujours pas été installés officiellement.
J’enchaîne avec l’Ensemble artistique national. Normalement, chaque année, il y a un recrutement. C’est en fin d’année que nous avons vu le Directeur et son comité de sélection sillonner quelques localités. Au moins eux autres ont fait quelque chose comme pour dire aux acteurs « bientôt nous allons procéder à la sélection ». Ainsi, il n’y a pas eu d’activité au niveau de l’Ensemble artistique national parce que le Ballet n’a pas fonctionné. Mais je peux comprendre que c’est la pandémie qui a entrainé cela.
Je peux prendre encore d’autres directions. Les exemples sont légions.
Est-ce qu’avec cette dynamique au niveau du Ministère, on peut envisager avoir de si tôt la Maison de l’artiste ?
Ce qui me dérange souvent, c’est la qualité du discours du Ministre et de son cabinet. On les entend souvent répéter : « Nous allons… Nous allons faire… » Moi je suis mathématicien. C’est une science exacte. C’est oui, c’est ça ou ce n’est pas ça. Mais trop de littérature, ce n’est pas bon. Malheureusement c’est ce que je constate. On nous laisse dans l’espérance. Ou bien on nous fait rêver et finalement notre rêve ne se concrétise pas. Ce rêve n’est plus réalité. Et des fois l’autorité de tutelle n’en parle plus. On ne sait plus rien.
Nous finirons peut-être par avoir une Maison privée de l’artiste. Les acteurs culturels finiront par se mettre ensemble pour créer cette Maison de l’artiste. S’il y a la Maison de l’artiste, aucun artiste ne pourra plus se lever pour aller faire une prestation à 10 francs par exemple alors que la grille est 100 francs. Ceci va permettre à l’artiste de cotiser pour ses vieux jours. Ainsi à la fin de ses jours de gloire, il pourra jouir d’un mieux être acceptable.
Quelles doivent être les priorités du ministère en charge de la culture pour impacter le secteur des arts et de la culture cette année 2021, selon vous ?
Pour 2021, je souhaite que le chef de l’Etat nous apporte quelqu’un qui maîtrise les enjeux du secteur parce que le désert de compétence se faire sentir par ici. C’est pour cela que le Ministère peine à produire de résultats tangibles.
Chaque fois, la crise sanitaire est avancée comme raison de lenteur dans la mise en œuvre des réformes dans le secteur. Pourtant la pandémie s’est révélée plus sévère dans d’autres pays africains voire de la sous-région et pourtant tout s’est bien passé.
M’adressant aux acteurs culturels, je nous exhorte à nous prendre en charge. Nous devons travailler. Nous devons cesser de dire que sans le Fonds des arts et de la culture nous ne pouvons pas travailler. Nous devons enlever cela de la tête. Chacun doit pouvoir se dire : « Je fais mon travail, si on m’appuie, ça fait un plus pour moi. Si on ne m’appuie pas je continue mon travail. » Quand un acteur se dit : « Sans le Fonds je ne peux pas travailler », il se bloque lui-même déjà.
Par ailleurs, nous devons avoir un esprit de solidarité. Ayons dans notre tête qu’ensemble nous serons forts, très forts. Cultivons impérativement le vivre-ensemble. 2021, par la grâce de Dieu, nous édifiera.
Propos recueillis par Fortuné SOSSA