La onzième édition du Marché des arts du spectacle d’Abidjan (Masa) a atteint ses objectifs au niveau de la sélection des artistes et groupes artistiques. Seul point d’achoppement, aux dires des experts Adama Traoré et Jacob Bamogo, la gestion technique des salles…
« Le Masa aujourd’hui a péché sur le plan organisationnel technique et sur le plan public. » Ces propos émanent d’Adama Traoré du Mali, dramaturge, metteur en scène et enseignant des arts. Il ne comprend pas qu’avec la qualité des spectacles programmés, les techniciens des salles ne se soient pas montrés capables de faire convenablement le travail. « On se demandait s’ils connaissaient vraiment le règlement minimum pour l’organisation d’un événement. ». Il argumente : « Au moment où des spectacles de conte ou de slam se déroulaient, à quelques mètres de là, il y avait des groupes de musique qui procédaient à des balances et cela donne l’impression qu’on n’avait pas un directeur technique qui coordonnait les activités. »
Cet imbroglio révolte Jacob Bamogo : « Pendant qu’on est en train de suivre un spectacle en salle on entend des balances de musiciens ; ce n’est pas possible ! » Pour lui, quand on recrute un directeur technique professionnel, « il sait à quel moment programmer chaque spectacle parce qu’il ne doit pas avoir de nuance externe ».
Par le passé, la direction générale du Masa organisait un atelier pour les techniciens quelques semaines avant le démarrage officiel d’une édition. Au cours de cet atelier, les participants inspectent les salles en compagnie de l’équipe dirigeante du festival. Cette inspection est faite avec les fiches techniques des spectacles. Ainsi, ils décident de la salle qui convient à chaque spectacle, suivant l’analyse des fiches techniques et la spécificité de chaque salle au regard du pack de matériels existant.
Jacob Bamogo est un régisseur général burkinabé bien connu dans le milieu artistique. Il témoigne avoir eu la chance de bénéficier d’une bourse de l’Organisation internationale de la francophonie qui lui a permis de se faire former en Europe en 1992 en vue de la préparation du premier Masa l’année suivante. « Nous avons fait le travail avec les moyens mis à notre disposition jusqu’en 2007 à la satisfaction des gens », affirme-t-il.
Le grand problème du Masa, commente ensuite cet expert de la technique, est qu’il manque deux éléments essentiels : un directeur technique et un directeur artistique. « Ce n’est pas obligatoire que ces éléments soient identifiés en Côte d’Ivoire parce que le Masa est un patrimoine de l’Afrique et désormais du monde entier. » Adama Traoré renchérit : « Au niveau de la sous-région il y a les compétences. La direction du Masa sait que dans tel pays il y a telle compétence, dans tel autre pays, il y a telle autre compétence. »
En fait, un artiste a besoin de restituer ce qu’il a créé et tant qu’il ne restitue pas comme il se doit, il est mal à l’aise, et en tant que technicien, on doit être touché parce qu’on n’a pas réussi à reproduire ce que l’artiste a voulu. Ce qui implique obligatoirement le recrutement d’un régisseur général compétent. « Un mois avant l’arrivée des artistes, insiste Jacob Bamogo, le régisseur général doit être en mesure d’envoyer le planning de réglage. » Ainsi, l’artiste reçoit assez tôt le chronogramme de ses prestations avec précision, de même que le nom du technicien qui doit régler les projecteurs. Jacob Bamogo souligne cela parce qu’il a remarqué que les fiches techniques qui ont été envoyées aux artistes « sont de vieilles fiches techniques qui sont dépassées aujourd’hui ».
Eduquer le public
Les deux événements pour lesquels il y a eu véritablement du monde, c’est le Masa des enfants et la soirée dédiée aux femmes. Hormis cela, le public s’est fait rare sur la plupart des autres événements. « Pour que le public se déplace, justifie Jacob Bamogo, il faut qu’il y ait quelque chose de cohérent. Le public doit avoir les bonnes informations au bon moment. » Chose décevante, le peu de public qui était là n’arrêtait pas de se déplacer, de tout filmer et n’importe comment. « Les gens qui étaient responsables des salles devaient tout au moins donner régulièrement des consignes pour que si on devait filmer ou faire des photos qu’on n’utilise pas des flashs », fait observer Adama Traoré.
Jacob Bamogo relève également que, même les artistes peinaient, chaque fois, à savoir l’heure exacte à laquelle ils devaient jouer. Tantôt on leur donne une heure puis finalement, c’est deux à trois heures de temps après qu’ils ont accès à la scène. Adama Traoré fait la même remarque et se désole : « A un moment donné, on sentait qu’il y avait certains spectacles qui étaient dans les salles et des gens qui disaient : ‘’Mais, nous, on a envoyé notre fiche technique, mais pourquoi on n’a pas ça ici ?’’ ». Jacob Bamogo avertit alors : « Quand un acheteur de spectacle arrive, il regarde la fiche technique et quand il constate que le spectacle n’a rien à voir avec la lumière et vice versa, c’est un grand problème. »
Adama Traoré note d’ailleurs un certain nombre de dysfonctionnements au niveau du catalogue de l’édition. « Quand on regarde le catalogue, on n’y retrouve pas les noms de tous les spectacles ; encore moins le nom de l’auteur, du metteur en scène, du scénographe ou du technicien qui accompagne. » Or, le Masa est un marché. Quand un programmateur y arrive et reçoit le catalogue, c’est qu’il est en mesure de se dire qu’il a la fiche technique de chaque spectacle qu’il a regardé. « Alors, indique Adama Traoré, si le programmateur s’engage avec une compagnie et que le lendemain ou des mois plus tard, elle lui envoie des noms d’autres personnes, il pourra opposer à cela les vrais noms des acteurs du spectacle qu’il a réellement vu et le nom du technicien qui va avec. »
Il importe de signaler qu’à la conférence de presse de clôture qu’il a animée le 14 mars 2020, Yacouba Konaté, le directeur général du Masa avançait que l’une des difficultés de cette édition est le trop grand nombre de festivaliers invités. Il reconnait qu’il y a eu des difficultés techniques par endroit, mais elles n’auraient pas, pour autant, entaché la qualité des prestations des artistes. « Chaque scène avait son public et le Masa 2020 avec ses scènes additives s’est révélé une vraie fête populaire qui s’est étendue à d’autres localités comme Abobo, Yopougon, Treichville… » s’est-il réjoui.
Fortuné SOSSA