Au centre culturel Artisttik Africa à Cotonou se déroule depuis ce vendredi 15 mars une saison théâtrale ouverte par le spectacle ‘’Négrititudes’’. Une pièce écrite et mise en scène par le dramaturge Ousmane Alédji. C’est une adaptation de plusieurs textes d’Aimé Césaire avec, en toile de fond, sa conception de la négritude.
La fondation Bamisso organise un congrès sur les droits de l’homme en Amérique. Orateur : Aimé Césaire. Le discours se tient dans ces années où l’intellectualisme de l’homme noir commence à prendre une ascension fulgurante. Le suivisme s’affranchit progressivement des habitudes que le Blanc a imposées au Noir. La négritude devient une action vibrante, l’explosion de la pensée africaine, une pensée féconde. La pensée africaine prend du coup l’allure d’un refus d’être un produit obsolète fabriqué de toute pièce par la ruse et la rage européennes.
Le jeu est décisif. Il réside ici dans la technicité d’Ousmane Alédji qui a choisi de faire découvrir au public la conception d’Aimé Césaire de la négritude. Une conception qui rompt avec la thèse de certains de ses contemporains.
Aimé Césaire conçoit la négritude comme une duperie de l’homme noir. Une tromperie réussie brillamment par l’Européen. Pour sortir la substantifique moelle de cette négrititude césairienne, le metteur en scène a procédé à une compilation de textes puisés dans plusieurs ouvrages du panafricaniste. Un auteur et orateur qu’il place ici dans la peau du comédien béninois Isidore Sossa Dokpa pour donner à découvrir un néologisme : ‘’Négrititudes’’.
Isidore Dokpa, au palmarès impressionnant, s’est dopé d’une bonne dose du mental césairien sur la scène. Il s’est bien paré de la verve et du franc-parler de l’auteur. Son verbe est articulé avec mesure et assurance dans une intonation proche de l’élégante diction du professeur émérite Paulin Hountondji. La prestance étincelante. Le décor sobre. En somme, un public virtuel qui crée une complicité de fait avec le public spectateur, une pile de documents posés sur une table ajoutée à un pupitre pour le show dialectique. Mais il importe de souligner la présence, au début, d’une voix off ; une voix de femme qui situe le cadre dans lequel va se tenir le discours et invite ensuite Aimé Césaire à la tribune.
Comme on pouvait si attendre, le discours est direct, osé et percutant. Ousmane Alédji a pris soin de sélectionner de très intéressantes séquences des textes d’Aimé Césaire. On ne sent à aucun moment qu’il s’agit d’extraits épars mis en commun. Le discours construit est donc d’une cohérence notoire. Le personnage commence à poser le problème. Il rappelle des faits historiques majeurs notamment la colonisation, la civilisation sans oublier la traite négrière. Autant de procédés que l’Europe a utilisés pour abrutir l’Afrique et les Africains. Parce que l’Afrique ne s’est pas réveillé aussi tôt que l’Europe pour rivaliser avec elle dans le concert des nations. Du coup, Aimé Césaire, tiré à quatre épingles, entre dans un réquisitoire profond et percutant comme pour appeler à la barre l’Europe et tous les Occidentaux.
Contextualisons
‘’Négrititudes’’ a un goût d’inachevé. La chute est brusque, brutale. Il suffit que le spectateur manque d’une seconde d’attention et il rate la fin du spectacle. Et même très attentionné qu’il soit, il ne comprend pas cette note finale. Difficile d’admettre que le remerciement du comédien et son retrait indique effectivement la fin du spectacle. Difficile.
On s’attend, après la densité de cette dialectique à la césairienne, que la mise en scène ouvre une brève fenêtre sur le contexte actuel de la gouvernance politique en Afrique voire au Bénin. Le public s’attend à ce que le discours glisse sur un tableau des dysfonctionnements notés sur le continent africain de nos jours.
En effet, le discours de Césaire si lointain demeure d’actualité. Hier le Blanc était un loup pour le Noir, l’Européen était un loup pour l’Africain. Aujourd’hui, c’est l’Africain qui est un loup pour l’Africain. Comme l’a chanté Alpha Blondy, « les ennemis de l’Afrique, ce sont les Africains ».
Cette ouverture souhaitée de la pièce apparaît donc nécessaire pour attirer davantage l’attention des gouvernants africains à prendre conscience de la connotation de la négritude aujourd’hui. Cette ‘’nègre-attitude’’ qu’ils façonnent à loisir pour réduire le peuple africain à une fonction de soumis, de laudateur, d’affamé, de robot, de faiseur de roi… Un peuple qu’ils empêchent de s’approprier de sa souveraineté démocratiquement acquise.
Alors, il est difficile d’admettre que Ousmane Alédji, qui sait saisir au bond l’actualité pour mieux habiller ses créations, puisse manquer à cette pro-activité avec ‘’Négrititudes’’. Pourtant la matière foisonne actuellement. Les exemples sont féconds.
Fortuné SOSSA