De combat et de défi. A 12 ans, accompagnant une belle-sœur qui devait accoucher, elle est repoussée par la sage-femme qui la trouve trop jeune.‘‘Ah bon ! Je suis trop jeune, c’est bien ! Toi là, tu me verras sur ton chemin.’’ Béatrice l’a décidé, elle sera sage-femme, ce qui réjouirait d’ailleurs papa Robert Ahyi, lassé de n’avoir que des enfants enseignants, et qui louchait vers ‘‘un infirmier ou une infirmière’’.
En classe de troisième, quand il fallut s’orienter vers les salles d’accouchement, Béatrice s’estima ‘‘capable d’aller plus loin’’. Incapable cependant d’annoncer à maman Rosalie qu’elle renonçait à n’être que sage-femme, elle a dû apprêter son dossier pour le concours, ‘‘et je savais que je réussirais’’. Aussi, ‘‘avant d’aller aux épreuves, j’avais fait une neuvaine pour échouer’’. Hélas, tout se passa bien…d’abord. ‘‘Mais dans l’après-midi, Dieu a su faire les choses’’. Un déluge tel que ‘‘j’étais arrivée en retard en même temps que d’autres candidates’’. Exclue avec les autres retardataires. Divinement exaucée, Béatrice entame sereinement son ascension vers la médecine. Arrivée à Dakar pour les études supérieures, déception. ‘‘Mon inscription en Médecine a été rejetée : puisque j’avais eu une très bonne note en sciences au BAC (16/20), j’ai été orientée vers les sciences naturelles. Mais moi, je voulais absolument étudier la médecine.’’ Elle bouscule terre et ciel, fait médecine, devient médecin le 1er avril 1968, estime que c’est peu ; d’ailleurs, puisque la France ose dénier aux Africains le droit de faire des spécialités, elle fera une spécialité. En mars 1984, sortant de trois jours de coma, elle se dit ‘‘fatiguée’’, s’envole pourtant à ses frais pour Paris dès le 18 avril 1984 pour se présenter au concours d’agrégation, qu’elle réussit avec les félicitations d’un jury subjugué par la quantité et la qualité du dossier qu’elle a fourni. ‘‘En effet, j’ai vraiment travaillé à Cotonou.’’
Combat et défi rythment la vie de Béatrice Aguessy, ‘‘première femme Professeur de gynécologie-obstétrique du Bénin et de la Sous-Région’’. D’Abomey, où elle est née le 7 avril 1934, à Ouidah en passant par Dakar et Paris, rien jamais ne lui fut donné, elle a toujours tout conquis par un travail acharné, car ‘‘Je suis très ambitieuse’’. Deuxième guerre mondiale, grande pénurie au Dahomey. Pas de pétrole. L’écolière Béatrice se fait une lampe à huile hyper artisanale pour apprendre ses leçons. Pas de cahier. Béatrice se fabrique un carnet de leçons ‘‘à partir du papier craft que mes parents achetaient dans le marché noir’’.
Ceux qui ont peu connu le Professeur Béatrice Ahyi Aguessy jusqu’au petit matin du 11 janvier 2019 ont connu le creuset où sont nés ses silences, sa sobriété légendaire, ce rien de tension derrière son sourire, grâce à Colette Lanson qui a reconnu en elle ‘‘une force qui va’’, force à laquelle elle consacra en 2009 une biographie de 260 pages, force à laquelle les éditions IdS donnèrent la parole sur 30 pages en 2016. ‘‘C’est seulement dans la mauvaise fortune qu’on trouve les grands exemples’’, écrit Sénèque. Le miroir, l’écho de l’antique Romain au Bénin s’appelle Béatrice : ‘‘J’ai toujours évité de tomber dans le découragement. Pour moi, il fallait toujours aller de l’avant. Toute épreuve ou tout défi, quelle que soit sa forme ou sa nature, est à affronter. Chaque fois que je me heurte à un obstacle, je reviens à la charge, mieux portée par la bénédiction de Dieu et l’affection de mes proches.’’
Merci, grande sœur, merci Dada Béa, d’avoir rêvé ta vie et de l’avoir, par le travail, réalisée telle que tu l’as rêvée. ‘‘Je rêve encore de mettre en place la faculté de médecine africaine. Ce sera mon dernier combat.’’ Tu nous confies, comme héritage à réaliser, ton dernier rêve. Nous te confierons le 9 février 2019 à la terre de Ouidah, ta terre devenue. Sois Semence et Muse. Inspire-nous ambition noble, force et courage pour la tâche à faire.
Merci, Dada Béa.
Roger Gbégnonvi