Professeure Jeanne Zoundjihékpon est « une amazone », mais « une amazone du droit des collectivités locales ». Ainsi Mme Béatrice Lalinon Gbado, directrice des Editions Ruisseaux d’Afrique, qualifie l’auteure de l’ouvrage scientifique ‘’L’igname, une plante noble au futur pluriel’’. Interview.
La Marche Républicaine : Mme Béatrice Lalinon Gbado, les Editions Ruisseaux d’Afrique que vous dirigez viennent de publier ‘’L’igname, une plante noble au futur pluriel’’ de Mme Jeanne Zoundjihékpon, professeure titulaire de génétique et amélioration des plantes. Comment avez-vous connu cette éminente universitaire ?
Mme Béatrice Lalinon Gbado : Notre rencontre a eu lieu au lancement du livre ‘’Graines suspectes’’, co-publié par les Editions Ruisseaux d'Afrique dans la collection ‘’Enjeux Planète’’ de l'Alliance internationale des éditeurs indépendants. C’est un ouvrage qui porte sur la nécessité de garder vigilance face à la montée des Ogm (Organismes génétiquement modifiés). C’était au début des années 2000. Après nous nous sommes perdues de vue. Mais pas pour très longtemps. Nous nous retrouvions souvent parce qu’il y avait quelque chose de fond qui nous unissait et qui nous unit toujours.
Qu’elle est donc cette chose qui vous unit si tant ?
Ce qui nous unit de fond, c’est ce combat de terrain, cet engagement sans faille au service de l'Afrique, de ses valeurs endogènes. Ce qui nous unit de fond, c'est le souci de faire lever des enfants d'Afrique qui ont l'Afrique en estime et qui ont une bonne estime d’eux-mêmes. Les enfants capables de promouvoir leur bien-être et le développement de l’Afrique.
C’est la motivation essentielle qui m'a poussé au début des années 90, fin années 80, à poser les actes qui vont fonder les éditions Ruisseaux d'Afrique. Etant du monde de la pédagogie et de formation psychologue sociale, j'avais réalisé brutalement, en voulant mettre à disposition des enfants des ouvrages de Lecture-plaisirs, que les ouvrages Jeunesse qui étaient publiés à cette époque ne faisaient nullement échos des réalités d'Afrique ni de l'enfant africain ni de son histoire ni de ses réalités spatiales et que le scandale était que toute la culture, servie à l'enfant à travers le livre, était la culture venue d'ailleurs.
Peut-on comprendre par là que c’est pour corriger cette surprenante situation que vous avez créé les éditions Ruisseaux d’Afrique ?
Moi-même, j'ai eu la grâce de grandir en allant à deux écoles : l'école du jour qui est l'école académique avec ses matières, ses maîtres puis ses professeurs ; l’école où l'on apprend le savoir avec un système éducatif officiel reconnu. Puis, l'école du soir qui était vraiment l'école du village où mon père était le maître, le directeur et celui qui diffusait la science à travers les contes, les légendes, les mythes. En dehors de mon père, il y a toutes ces tantes, toutes ces personnes qui venaient chez nous, qui contaient, qui nourrissaient nos âmes d'enfants de la culture de chez nous et qui fortifiaient nos racines culturelles.
Cette croissance, cette nourriture culturelle personnelle, qui m’a assuré une maturité culturelle, me paraissait naturelle. Si bien que ce fut un peu comme un choc de réaliser qu’à cette époque-là encore plus qu'aujourd'hui, il n’y avait aucune trace de l'Afrique, de son vécu, de son histoire dans les ouvrages destinés aux enfants africains. D’où ma motivation essentielle de donner à voir, à lire, à aimer aux enfants d'ici et d'ailleurs, l'Afrique, sa culture, son histoire, ses valeurs. C’est ce qui fonde Ruisseaux d’Afrique et qui fait notre chemin depuis le début des années 90.
Du coup, la connexion s’est vite faite entre la professeure Zoundjihékpon et vous parce que vous vous retrouver dans le même combat pour l’Afrique.
Quand professeure Zoundjihékpon s’est rapprochée de nous pour publier une partie des fruits de sa recherche, notre adhésion a été spontanée. Notre rencontre avec cette brave universitaire est la rencontre entre Ruisseaux d’Afrique et une personne, mais aussi, une rencontre entre deux personnes engagées dans un même combat mais sur des lignes et dans des secteurs différents.
Aujourd'hui, notre joie est grande. Elle est immense de voir que la communauté scientifique a aimé ce manuscrit que nous avons coopté immédiatement, que nous avons soutenu. Nous félicitons professeure Jeanne Gaston Zoundjihékpon pour son engagement, pour sa ténacité.
Nous la félicitons et nous rendons hommage à cet engagement, à cette vie entière donnée à la science parce qu’au-delà du sacre de ce livre aujourd'hui, c'est le sacre de sa personne, le sacre d'une vie donnée à la science, à l'Afrique et au combat pour les droits des collectivités locales.
‘’L'igname, une plante noble au futur pluriel’’ est un chef-d’œuvre qui est mis à la disposition de tous et qui peut se comprendre.
En quoi l’igname a-t-elle un futur pluriel ?
Tout à l’heure la dégustation de l’igname va montrer qu’elle est une plante noble au futur pluriel. Son présent est déjà pluriel aussi, et ça, nous allons le sentir lors des convivialités, lorsque nous allons discuter autour des plats d’igname pilée, de wassa-wassa, d’igname bouillie, d’igname frite, de beignet d’igname. Et quand je dis beignet d’igname, ce n’est pas l’igname frite à côté du beignet du haricot. C'est de l’igname râpée et transformée en beignet. Nous allons ainsi déguster ensemble l’igname sous forme pluriel.
Vous avez publié l’ouvrage de la professeure dans la collection ‘’Sciences en partage’’ créée il a deux ans. Pourquoi spécialement cette collection ?
La collection ‘’Sciences en partage’’ est créée pour faciliter la mise à disposition et l'accessibilité des découvertes scientifiques à nos étudiants puis à nos populations de manière plus large. Il s’agit de restituer à la communauté, à nos parents, à nos collectivités ce que leurs investissements ont généré. Nos parents investissent pour nous mettre à l'école (filles et garçons) et puis au bout du processus, le fruit de leur travail reste souvent entre savants, entre gens qui maîtrisent un certain langage scientifique. Conséquence : les fruits de la recherche et de la formation dans lesquelles nos collectivités ont investi ne redescendent pas en des termes qu’ils pourraient partager pour améliorer leur quotidien.
C’est pourquoi la collection ‘’Sciences en partage’’ est ouverte à tous les chercheurs et chercheuses de tous les domaines qui voudraient diffuser et partager les fruits de leurs recherches pour élever le quotidien de nos populations. Comment diffuser ces découvertes tout au long de la scolarisation de nos enfants par exemple, et que les curricula soient actualisés en fonction de ce qu'on est en train de découvrir au fur et à mesure au niveau des valeurs endogènes, des ressources de l'Afrique et des perspectives d'utilisation ? La collection ‘’Sciences en partage’’ est une réponse à la question.
A combien de publications êtes-vous déjà dans cette collection ?
Dans le secteur de la littérature, nous avons publié ‘’Relire Doguicimi de Paul Hazoumé’’ du professeur Adrien Huannou. Nous avons publié aussi dans le secteur de la psychopédagogie ‘’La théorie de l'émergence de l’être : Une relecture des travaux d’André Rochais’’ de moi-même, Béatrice Lalinon Gbado. ‘’L’igname, une plante noble au futur pluriel’’ est le troisième ouvrage de cette collection dans le secteur de la génétique et de l’agrobiologie.
Je profite de ce canal pour lancer un appel aux chercheuses et chercheurs à se rapprocher des éditions Ruisseaux d'Afrique afin de publier dans la collection ‘’Sciences en partage’’.
Propos recueillis par Fortuné SOSSA (le 07 juin 2024)